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Libération

Marc Graciano, la pucelle à l’oreille

Jeanne d’Arc, figure récurrente dans l’œuvre de l’auteur, revient avec «le Tombeau» et son vieil ermite confesseur.
Autant «Johanne» était un livre de la jeunesse, autant «le Tombeau» se place du côté du souvenir. (Hulton Archive/Getty Images)
publié le 5 mai 2024 à 10h51

A l’issue de Johanne (Le Tripode, 2021), nous l’avions quittée l’enfance derrière elle et guerrière devenue, à une nuit d’atteindre Chinon et de retrouver le Dauphin dans la «lumière noëlle» d’un jour de l’an 1429. Qu’allait-il se passer ensuite ? L’histoire le sait, mais Marc Graciano n’écrit pas l’histoire ou pas comme on l’enseigne dans les manuels ; il écrit des romans (une dizaine depuis Liberté dans la montagne chez Corti en 2013) et parfois des poèmes dans sa langue propre, une langue le plus souvent faite de phrases noueuses et de mots vieillis ou inusités, à contre-courant, hors saison et sans pareille. Ses retours d’orfèvre sont toujours une joie, un rendez-vous, car l’on assiste semble-t-il avec lui – sentiment finalement assez rare – à l’édification en temps réel d’une œuvre (terme qu’il n’affectionne pas tellement lui-même). Le Tombeau en constitue la plus récente pierre et fait de Jeanne d’Arc une figure récurrente sans qu’il s’agisse d’une suite, du moins pas comme la bonne logique l’aurait voulu (levée du siège d’Orléans, sacre de Charles VII à Reims, procès, etc.). Plutôt que de suivre docilement l’icône, Graciano remet l’ouvrage sur le métier, fait un pas en arrière, se déplace, tourne autour et observe son objet de loin, à la dérobée, pour en révéler de nouveaux contours. En témoigne l’instance narrative : là où Johanne montrait les choses par le truchement d’un jeune écuyer, le Tombeau opte pour le regard d’un «vieil ermite», «celui qui a peut-être le mieux connu Johanne», son confesseur.

Beaucoup d’oiseaux circulent (alouettes, merles, grives…)

Jeanne est morte sur le bûcher voilà des années et sa mémoire hante notre homme reclus sur les hauteurs de Domrémy. Autant Johanne était un livre de la jeunesse (l’un des aspects qui intéresse le plus Graciano, la dimension rimbaldienne du personnage), autant le Tombeau se place du côté du souvenir. «Je me souviens image de la première fois que l’ai vue»… sont ses premiers mots et chaque chapitre tient sa forme en une longue phrase toute d’incises et d’adverbes. Le roman relève cette fois moins de la progression que du bout-à-bout, même s’il est ascensionnel à sa manière – d’un martyre à l’autre, l’ermite, «besogneux de Dieu», portera à son tour sa croix. Le Tombeau n’est pourtant pas un texte sombre : beaucoup d’oiseaux y circulent (alouettes, merles, grives…), à commencer par la fauvette à tête noire de la couverture, œuvre de Georges Peignard. Avec Graciano, il faut en revenir à la racine des mots et à leurs différentes acceptions : en peinture, un «tombeau» représente l’ensevelissement du Christ, mais il peut s’agir, en poésie et en musique, d’une composition en l’honneur d’un artiste. C’est ainsi peut-être davantage comme cela qu’on comprendra le titre, en hommage et en recueillement, en pièce «inspirée de» dans laquelle on pourra au passage trouver de l’autoportrait, quelques mois après les «haïkus berrichons» de Noirlac (du nom du hameau où l’écrivain a élu domicile, en face d’une abbaye cistercienne). On y lisait : «bientôt je ne serai plus/ qu’un vieux/ qui pêche au bord du Cher». Qui est l’ermite du Tombeau ? Cet anonyme qui, certains «matins d’automne», lorsque pépient les geais, croit entendre un signe de Johanne, «ce qui, chaque fois, me donne envie de pleurer tendrement».

Marc Graciano, le Tombeau, Le Tripode, 144 pp., 20 €.