Le petit garçon a de la fièvre et de la morve au nez. D’après la grand-mère qui vient de passer le long de son corps une paire de ciseaux enveloppée dans un torchon, le diagnostic est certain : «Karl souffrait de la maladie du manque, que les enfants contractaient quand ils ressentaient un manque sur lequel ils n’arrivaient pas à mettre un nom.» L’absence de sa mère, morte de maladie non déterminée après avoir démasqué une servante, en fait une créature de la forêt, est vite désignée. Quand la belle-mère fredonne une chanson en finnois, ce que faisait la défunte, miracle : Karl s’endort. Mais on se demande : et nous, pauvre lecteur, qui nous chantera donc une berceuse pour nous arracher, après 400 pages, à ce roman et nous faire retrouver la réalité comme on coule dans le sommeil ?
Alors, à défaut, on retourne en arrière, vers ce chapitre intitulé «Cartes», l’un des plus obsédants. Et on se relaisse porter par cet épisode autour d’un valet de ferme de 16 ans, prénommé Ant, que l’on verra partir dans la neige, lors de l’enrôlement pour la guerre contre les Soviétiques. Ant, est-il indiqué, n’avait jamais quitté le coin et connaissait chaque pouce de terrain. Comme dans une tentative d’épuisement des lieux, il cartographiait tout. On retient cette prouesse topographique : «La plus singulière de ses cartes représentait les chemins de l’hiver. Non pas les routes à emprunter en hiver, mais les chemins par lesquels l’hiver arrivait et repartait – là où il faisait froid tô