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Fières de lettres

Marie-Catherine d’Aulnoy, la fée des contes

Chronique «Fières de lettres»dossier
Chaque mois, la Bibliothèque nationale de France met en lumière une œuvre d’écrivaine méconnue, à télécharger gratuitement dans Gallica. Aujourd’hui, les «Contes nouveaux ou les Fées à la mode» de Marie-Catherine d’Aulnoy, parus en 1698.
Portrait de Marie-Catherine d’Aulnoy. (BNF)
par Monique Calinon, Bibliothèque nationale de France
publié le 11 juin 2022 à 11h39

Bien sûr, si l’on pense «conte», Charles Perrault surgit d’emblée, lui qui va connaître un succès phénoménal avec ses Contes de ma mère l’Oye. Il est un personnage de première magnitude à son époque – et dans l’histoire littéraire française – s’affirmant comme le chef de file des Modernes dans la si célèbre Querelle. Mais c’est bien la fort subversive Marie-Catherine d’Aulnoy, qui fonde au XVIIe siècle, avec quelques consœurs de plume, ce qu’on appelle après elle les «contes de fées».

D’une certaine façon, on pourrait penser que Madame d’Aulnoy était bien préparée aux côtés sombres, cyniques, voire cruels des contes, sous leurs dehors qu’on estime souvent enfantins et pleins de fantaisie. La vie plus qu’aventureuse de Madame d’Aulnoy est empreinte de bruit et de fureur : deux gentilshommes, dont l’un fut son amant après avoir été a priori celui de sa mère, le marquis Crux de Courboyer et le chevalier de La Moizière, ont tout de même subi la décapitation par la faute de la Comtesse et de celle qui lui a donné le jour ! Notre autrice a en effet été grandement connue par ses contemporains du fait d’un scandale retentissant : désireuse de se débarrasser de son époux, soudard, coureur impénitent, dépensier, elle monte, en compagnie de sa mère et des malheureux gentilshommes, une machination accusant son mari du crime de lèse-majesté, passible de la peine de mort. Son époux, de trente ans son aîné, certes invivable et dépravé, est relaxé, mais les gentilshommes y laissent leur tête pour calomnie. On ne se joue pas ainsi de la personne du roi… Marie-Catherine d’Aulnoy et sa mère se voient alors plongées dans une période de fuites erratiques, notamment dans les Flandres et en Angleterre, afin d’échapper à toute condamnation. Tant de péripéties, de rebonds, ont pu nourrir l’imagination de la fondatrice du genre si complexe qu’est le conte de fées.

Ce n’est pas tout, si nous regardons ses aventures romanesques, toujours menées tambour battant : de retour en France en 1690, nous la retrouvons certes tenant salon dans le Faubourg Saint-Germain, mais auparavant, elle séjourne en Espagne et à nouveau en Angleterre. Elle y méritera son retour en grâce pour «services rendus à la cour». Le mot de «renseignements» apparaît à son sujet. Il semblerait bien que notre intrépide et sa mère aient su se faire pardonner en espionnant pour le bénéfice du roi. Ce nouvel aspect de leur énergie commune pourrait faire songer aux histoires à enchâssement des contes et à la science du déguisement, du verbe et de l’observation.

Les premiers écrits de Madame d’Aulnoy racontent ses voyages, sous la forme de lettres à une parente, récits plus ou moins inspirés de faits réels et de nombreux autres ouvrages prouvent sa connaissance du monde et des usages politiques… Mais ce sont les contes qui vont faire sa postérité. Elle n’est pas la seule et d’autres dames de ses amies s’y essaient, telles que Henriette-Julie de Murat et Marie-Jeanne l’Héritier de Villandon. Mais elle ouvre le bal avec l’Ile de la félicité, glissé au sein de son roman Histoire d’Hippolyte, comte de Duglas, qui est véritablement le premier conte de fées publié en France.

Ses Contes des fées, suivis des Contes nouveaux ou les Fées à la mode, la rendent célèbre, à la hauteur, voire davantage, d’un Charles Perrault. Les titres fameux de Madame d’Aulnoy sont bien connus et ont été joliment illustrés, par exemple par Cottin pour une édition chez Garnier frères de 1882 : ainsi de la Chatte blanche, qui nous terrorisa tant enfant, ou de la Belle aux cheveux d’or. Le coup de génie de l’illustration de contes appartient cependant à Gustave Doré, qui a fait beaucoup pour la renommée de Charles Perrault : qui ne se souvient du Petit Chaperon rouge ou du Petit Poucet ainsi imagés ?

Madame d’Aulnoy fut si reconnue qu’elle fut admise, sous les traits de Clio, parmi neuf femmes de lettres – telles les Muses – à l’académie des Ricovrati, l’«académie des abrités» de Padoue, ce qui en fait l’une des premières académiciennes françaises.