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Fières de lettres

Marie d’Edimbourg, souveraine de Roumanie : la reine conteuse

Chronique «Fières de lettres»dossier
Chaque mois, la Bibliothèque nationale de France met en lumière une œuvre d’écrivaine méconnue, à télécharger gratuitement dans Gallica. Aujourd’hui, «Histoire de ma vie», d’une reine qui a traversé les frontières et les cultures.
Portrait de la reine Marie de Roumanie, Agence Rol, 1916. (BNF Gallica)
par Alina Cantau, Bibliothèque nationale de France
publié le 21 décembre 2023 à 10h32

La princesse Marie Alexandra Victoria d’Edimbourg voit le jour le 29 octobre 1875 à Eastwell, en Angleterre. Surnommée «little Missy» par ses intimes, elle est la petite-fille de la reine Victoria par son père, Alfred, duc d’Edimbourg. Elle doit à sa mère, la grande-duchesse Maria Alexandrovna de Russie, son attachement à la Russie impériale. Son oncle «Sacha» n’est autre que le tsar Alexandre III. Ses séjours dans la patrie maternelle, «cette Russie des Tzars, débordante de magnificence, aujourd’hui anéantie», occupent une place particulière dans ses mémoires.

Elle grandit dans son Angleterre natale, entre Osborne, sur l’île de Wight, Clarence House à Londres et Balmoral en Ecosse. Quelques années à Malte, bercée par les légendes des chevaliers locaux, suffisent pour faire de cette île «le plus beau souvenir de [sa] vie». Son père y était amiral de la flotte navale britannique en Méditerranée.

A 17 ans, en 1893, elle se marie à Ferdinand de Hohenzollern-Sigmaringen, neveu et héritier de Carol Ier, roi de Roumanie. Les jeunes mariés partent y suivre le destin qui leur a été tracé, dans un pays lointain et inconnu, aux confins de l’Europe. Elle y devient reine en octobre 1914, au moment où la Grande Guerre éclate. Elle raconte sa lente adaptation aux responsabilités de souveraine de ce pays qu’elle finit par aimer.

Témoin privilégiée de son temps

La reine Marie nous offre, à travers ses mémoires, ses chroniques quotidiennes et son Journal de guerre 1916-1918 des pages précieuses et inédites sur l’histoire de la Roumanie moderne. Elle vit les traumatismes des guerres balkaniques de 1912 et de 1913, puis de la Première Guerre mondiale, au chevet des blessés, comme infirmière dévouée.

Elle assume aussi le rôle d’ambassadrice et est reçue à la conclusion du traité de Versailles pour défendre la cause de son pays d’adoption auprès des plus grandes personnalités de l’époque : Clemenceau, Churchill, Poincaré, le président Wilson. La rencontre avec Clemenceau reste mémorable : le «tigre» est impressionné par la détermination patriotique de la reine.

Conteuse hors pair

Ses mémoires, Histoire de ma vie, rédigés en anglais, sa langue maternelle, sont publiés en 1934-1935 et réimprimés plusieurs fois. Ils paraissent en français quelques années plus tard, en 1937 et 1938, à la librairie Plon. Il s’agit d’un inédit car «nulle reine ou nul roi ne sut jamais écrire jusqu’à présent», nous révèle Virginia Woolf dans l’un de ses essais. Pour elle, la reine Marie est «un écrivain né, à qui la langue obéit».

Marie nous laisse un témoignage vivant, qui regorge de récits pittoresques, de portraits inoubliables, de sa vision sur les événements politiques, d’impressions de voyages. Elle décrit de manière truculente des épisodes de son enfance, comme les audiences avec sa «grand-maman», la reine Victoria, ou la rencontre avec Churchill enfant.

Lire «Histoire de ma vie» dans Gallica

Des fragments de rêves s’immiscent toujours dans le récit qui est fluide et simple, tel un conte narré à voix haute. Ses enfants l’encouragent à immortaliser le monde fabuleux qu’elle leur raconte : «Maman, tu devrais écrire ces contes, c’est dommage que d’aussi jolis récits se perdent. Tu es faite pour écrire des contes de féesDans ses contes et ses légendes, «on trouve toujours la voix grave de la vie, de la vie profonde et réfléchie aux lois de laquelle chacun doit se soumettre». Les titres sont évocateurs : la Légende du Mont Athos, le Rêveur des rêves, les Voleurs de lumière, Ilderim, histoire dans l’ombre et lumière, l’Enfant soleil, la Fille aux yeux bleus.

Kildine, histoire d’une méchante petite princesse est publié en 1921 et paraît en traduction française en 1934 : il était une fois, dans un pays lointain, un roi et une reine qui étaient déjà vieux sans avoir eu d’enfant. Un miracle se produit : Kildine vient combler la famille royale et le pays entier d’une joie immense. Trop gâtée, la petite devient capricieuse et même cruelle. Inquiets pour son éducation, le roi et la reine cherchent tous les moyens pour corriger son caractère, mais en vain. La seule solution, adoptée avec douleur, fut de l’isoler dans une vieille tour entourée de marécages. Là, Kildine recevra d’étonnantes leçons de la part du roi des aigles ou du royaume des cygnes. Après bien des aventures, Kildine comprend ainsi les vraies valeurs de la vie, elle devient réfléchie et respectueuse regagnant l’amour de ses parents et de son royaume. Les scènes du conte sont inspirées de la vie de la reine Marie et des personnages de son entourage.

L’ultime vœu

En plein centre de Paris, près de la tour Eiffel, une promenade lui est dédiée. Elle s’éteint en 1938 et restera «une reine de légende», «séduisante par le cœur, par les dons et par un rayonnement lyrique». Dans le testament rédigé de sa propre main le 29 juin 1933, la reine Marie de Roumanie formule son dernier souhait : que son cœur soit enterré à Baltchik, au bord de la mer Noire (aujourd’hui situé en Bulgarie), entouré de ses fleurs et de la mer : «On revient toujours à ses premiers amours, donc je retournerai à la mer.» L’histoire en décide autrement : après un passage à Baltchik, le cœur de la reine repose désormais à Sinaia, dans les montagnes des Carpates. Mais symboliquement, son cœur vit encore dans ses mémoires, ses contes et ses légendes.