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Marie Vingtras, quatre saisons et un enterrement

Avec «les Ames féroces», l’autrice française nous embarque dans une petite bourgade américaine effrayante de banalité où elle joue en jubilant avec les codes du feuilleton et du cinéma noir.
Nous sommes à Mercy, bourgade de quelques milliers d’habitants où rien ne se passe. Jusqu’au jour où Leo, une adolescente connue de tous, est découverte le nez dans la rivière et les iris sauvages. (Christophe Lehenaff/Getty Images)
publié le 8 septembre 2024 à 9h55

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En empruntant le pseudonyme «Arthur Vingtras» à la journaliste-écrivaine Caroline Rémy (dite aussi Séverine), qui elle-même l’avait choisi en hommage au héros de Jules Vallès (Jacques Vingtras), Marie Vingtras montre qu’elle aime jouer avec les codes littéraires et les mettre en abyme. Quand elle publie, en 2021, son premier roman, Blizzard (l’Olivier), qui se situe en Alaska, elle picore vivement dans les références du polar nordique et du cinéma des frères Coen : neige, brume, enfant disparu, quête paternelle… entre autres. Rebelote aujourd’hui avec les Ames féroces, au cœur de l’Amérique la plus banale qui soit. Nous sommes à Mercy, bourgade de quelques milliers d’habitants où rien ne se passe. Jusqu’au jour où Leo, une adolescente connue de tous, est découverte le nez dans la rivière et les iris sauvages. La shérif, Lauren Hobler, s’accroupit, dégage ses cheveux et la ville si calme se transforme en lieu du crime.

A partir de cet instant, ça décolle vite et fort avec des héros archétypaux qui s’exprimeront chacun leur tour. D’abord la shérif lesbienne, Lauren Hobler, peu appréciée de ses adjoints bas du front. Puis Benjamin, ex-écrivain à succès et professeur de lettres rongé par ses secrets et son passage en prison. Viendra l’ancienne meilleure amie de Leo sans oublier le père de la jeune morte. Quatre saisons, comme dans les séries télé. Quatre chapitres portés par des écritures différentes tel un jeu de piste romanesque. Mais surtout le portrait d’une ville américaine effrayante de banalité et peuplée de petites gens sans qualité. Ça sent le mensonge, l’injustice sociale et surtout le plaisir de la romancière à jouer avec les codes du feuilleton et du cinéma noir. Marie Vingtras assume tout cela avec jouissance et nous embarque dans ses exercices de style où nous cochons les mêmes cases de références. Mais il serait injuste de s’arrêter là, car l’autrice a une écriture qui fait jubiler, le don du contraste et de la surprise quand, soudain, on sent, comme les personnages du roman, le sol se dérober sous nos pieds. Nous sommes émus, Marie Vingtras a gagné.

Les Ames féroces, Marie Vingtras, éditions de l’Olivier, 270pp, 21,50 €