Marylie Markovitch, née Marie Amélie Alphonsine Néry à Lyon en 1866, femme de lettres, professeure, poétesse, journaliste, est morte à Nice en 1926. Nous savons peu de chose sur sa vie, si ce n’est qu’elle fut mariée deux fois, porte le nom de son deuxième mari, et nous a laissé une œuvre variée, pièces de théâtre, poèmes, romans ainsi que de nombreuses collaborations à des journaux et revues.
Féministe engagée pour les droits des femmes, polyglotte, grande voyageuse, elle part à 50 ans sur le front russe en 1915 comme envoyée spéciale entre 1915 et 1917 d’un des plus grands quotidiens français, le Petit journal et correspondante de la Revue des deux mondes. Elle va assister en direct à la révolution russe et sa connaissance parfaite de la langue lui permet de la vivre de l’intérieur avec sa sensibilité de femme, ce qui nous offre un témoignage atypique et passionnant qu’elle publie dans son ouvrage la Révolution russe vue par une Française.
Voyages et éducation
Il semble qu’elle ait rencontré son premier mari en Algérie où elle vivait depuis l’âge de 20 ans. Elle l’épouse à Paris le 15 octobre 1890. Devenue veuve quelques mois plus tard, elle se trouve dans l’obligation de gagner sa vie, ce qui va contribuer à faire d’elle une femme indépendante. Elle devient professeure de lettres à Montélimar et épouse en 1896 un ingénieur russe, Edouard Benoit dit Markovitch avec qui elle aura un fils. Elle voyage avec son mari dans les pays arabes et en Perse tout en s’engageant pour les droits des femmes musulmanes. Fin décembre 1898 elle publie dans le Monde illustré un récit en deux parties, Aiské. Mœurs persanes 24 décembre 18988 et 30 décembre 1898). Soucieuse de l’éducation des jeunes, en particulier des filles, elle publie un premier ouvrage en 1901, Pour l’école et la France. Théâtre de jeunes filles, bien accueilli dans la presse (Le Radical, 12 février 1901).
Elle écrit également dans des journaux pour la jeunesse : la Récréation, la Revue pour tous, le Journal de la jeunesse. En février 1906 elle est récompensée par le prix du magazine Femina pour son recueil poétique Les cloches du passé paru l’année précédente (le Monde illustré, 1erjuillet 1905). En 1907, dans son premier roman le Dernier Voile, elle critique l’éducation religieuse des jeunes filles qui ne les prépare pas à être des femmes libres (les Annales politiques et littéraires, 4 août 1907).
L’expérience du front russe
En 1915, Marylie Markovitch obtient de partir sur le front russe en tant qu’envoyée spéciale du Petit journal et correspondante de guerre de la Revue des deux mondes. Elle débarque à Pétrograd en distribuant des cartes patriotiques qu’elle a elle-même confectionnées et signées Amélie de Néry.
Désireuse de voir le monde des tranchées, elle va s’engager comme sœur de charité de la Croix-Rouge russe pour soigner les blessés dans les trains sanitaires. Elle est reçue par l’impératrice et présentée à ses filles à Tsarskoïe Sélo, la résidence d’été de la famille impériale, transformée en hôpital dirigé par le colonel Vilchkovsky.
«Et bien, dit-il, c’est décidé. Sa Majesté y consent ; vous irez sur le front.» (le Petit journal, 29 novembre 1915). Elle obtient l’autorisation d’embarquer à bord du train sanitaire de la Grand duchesse Marie (le Petit Journal, 4 décembre 1915), véritable train féministe, petite ville roulante tenue par des femmes de l’aristocratie russe. Le train s’arrête tout au long de son parcours ce qui lui permet d’approcher les lignes de combat. Elle raconte son expérience dans une série de reportages de la Revue des deux mondes: «Tableaux du front russe» à propos du train sanitaire ; «l’Impératrice en voile blanc» sur les hôpitaux de sa majesté Alexandra Féodorovna qui seconde la princesse Guédroïtz, chirurgienne ; «Des tranchées aux paradis de la riviera russe» où elle s’émerveille «parmi les délices de la Crimée» des miracles de ce sanatorium dans un pays ensoleillé.
«Formidable puissance d’un peuple révolté»
De retour à Pétrograd, elle est très vite plongée dans le chaos de la révolution russe qu’elle compare à la Révolution française: «Nous sommes encore trop près pour juger la révolution russe, mais elle apparaît comme le plus extraordinaire mouvement d’idées, comme le plus ardent foyer de propagande universelle que le monde ait vu depuis la Révolution française.» L’hiver est rude, la guerre fait des ravages, le peuple est en colère, les ouvriers manifestent.
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Malgré son attachement à la Russie tsariste, Marylie Markovitch comprend les aspirations du peuple au changement tout en redoutant la violence et le relâchement de la discipline. Elle s’enthousiasme : «Formidable puissance d’un peuple révolté qui peut anéantir en une heure le travail avéré ou secret de plusieurs siècles de recherches et de délations !» Elle ne craint pas la censure et n’hésite pas à peindre un portrait très peu flatteur et ironique de Lénine installé dans le palais d’une ancienne danseuse (le Télégramme, 22 juillet 1917). Il est pour elle le patron de la défaite. Car elle ne perd jamais de vue le risque de la dictature et l’urgence de reprendre la guerre contre l’Allemagne. «Mais l’Allemand est à vos portes ! Que dis-je, il est chez vous !»
Marylie Markovitch a rédigé ce qui sera son dernier ouvrage, la Révolution russe vue par une Française, à son retour en France dans l’urgence de l’évolution de la crise politique et de la guerre en Russie, à partir des reportages qu’elle a écrit pour la Revue des deux mondes et enrichi de ce qu’elle n’avait pas pu publier à cause de la censure. Il parait dès janvier 1918 et a été réédité en 2017 par Olivier Cariguel chez Pocket, à l’occasion du centenaire de l’évènement.
Rentrée malade de Russie et bientôt oubliée de tous, Marylie Markovitch est décédée le 9 janvier 1926 à Nice où elle habitait dans un couvent de sœurs. Sa mort est annoncée tardivement dans l’Ami du lettré en mars 1926 et dans l’Intransigeant (15 mars 1926). Un hommage à la poétesse lui est rendu dans l’Eclaireur du dimanche (29 janvier 1928).