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«La luna d’argent-viu /dins lo laquet se banha.» Soit, avec transparence pour le familier des langues latines, «la lune de vif-argent /au petit lac se baigne». Ces deux vers du poète héraultais Max Rouquette, figure de proue de la littérature en langue occitane, font entendre à qui ne connaît ni la lenga nòstra ni la prose de l’écrivain mort en 2005 leur petite musique vagabonde aux fortes consonnes. A la faveur des vingt ans de la disparition du poète en terres d’oc, voici qu’on peut découvrir, lire, dire et donc écouter ses poèmes (en prenant des libertés avec la prononciation) grâce à la parution d’une anthologie, chez Bruno Doucey, l’Ombre messagère et autres moissons de poèmes. L’ouvrage bilingue, puisqu’on a affaire à un auteur de langue maternelle occitane malgré quelques textes écrits uniquement en français, donne un aperçu de l’œuvre riche et contemplative du natif d’Argelliers, aussi connu à Paris pour ses pièces de théâtre.
La prosodie de ces textes – souvent brefs – donne à entendre une mélodie rocailleuse au service de l’imperceptible qui se tapit dans l’ombre de la garrigue. «Un jorn vendrà, quand i aurà pas pus de jorns, per de qu’i aurà pas pus de solelh, per jogar als rescondons amb la trèva de l’orizont» («Un jour viendra, où il n’y aura plus de jours, parce qu’il n’y aura plus de soleil, pour jouer à cachette avec le fantôme de l’horizon»), chante encore le porte-voix des lettres occitanes, traduit tardivement – l’ouvrage reprend des textes publiés entre 1937 et 2008 pour les poèmes posthumes. Des vers atemporels.
La poétesse Aurélia Lassaque, qui en signe la préface, publie également chez le même éditeur un nouveau recueil bilingue, Un autre monde que le mien, aux accents plus contemporains dans la forme comme le fond. Par sa prose rythmée, la native du Lot se fait quant à elle réceptacle des voix de celles et ceux qui n’en ont plus ou tout simplement pas, victimes de féminicides et autres violences patriarcales. Les vers, d’une grande douceur, invoquent un verbe suave, attentionné et compréhensif. Un dialogue entre deux rives linguistiques, de la même famille. Exemple : «Mon crit se voliá tan potent /qu’explosèt en ieu /e quand dubriguèri la boca /aviái pas mai de votz» («Mon cri se voulait si puissant /qu’il a explosé en moi /et quand j’ai ouvert la bouche /je n’avais plus de voix»). Démonstration que la langue des troubadours, langue de poésie et de rapport sensible aux choses, a des atouts pour chanter le monde actuel.
Max Rouquette, L’Ombre messagère et autres moissons de poèmes, éd. Bruno Doucey, 144 pp., 16 €.
Aurélia Lassaque, Un autre monde que le mien, éd. Bruno Doucey, 128 pp., 15 €.
L’extrait
Lo papachrós
Un sol degot de sang,
i basta per la vida,
e ne’n pòrta lo signe
au colar.
Un sol degot de la sang cauda
i bastarà per traversar
de solelhs e mai de lunas,
a ponhats,
dins l’escur fregelós d’una bruga.
O quauque rebat de solelh
au canton d’una carbonièra.
Un degot sol de sang
de long de tota una vida…
Antau se deslarguèt sus la cara dau mond.
Le rouge-gorge
Une seule goutte de sang,
et cela suffit pour toute une vie,
et il en porte le signe
au collet.
Une seule goutte de sang chaud
lui suffira pour traverser
tant de soleils et tant de lunes
à poignées,
dans la pénombre glacée d’une bruyère.
Ou quelque reflet de soleil
dans le coin d’une charbonnière.
Une seule goutte de sang,
au long de toute une vie…
Ainsi apparut-il sur la face du monde.