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Réédition

«Méditation sur la difficulté d’être en bronze» : Roland Dubillard au socle des Lumières

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Le cahier Livres de Libédossier
Le statut peu enviable de ses non-frères humains vu par la statue du philosophe Etienne Bonnot de Condillac.
Roland Dubillard (1923-2011), comédien et écrivain français, ici en 1953. ((c) Jean-Régis Roustan / Roger-Viollet/Roger Viollet)
publié le 29 décembre 2023 à 15h52

Par quel spécisme les humains imaginent que la pensée est interdite aux statues, fussent-elles en bronze ? «Et pourtant, nous, le bronze, nous ne sommes pas tombés du ciel comme les pierres», ainsi que l’exprime le narrateur de Méditation sur la difficulté d’être en bronze qui n’est autre qu’une statue d’Etienne Bonnot de Condillac, né en 1714, mort en 1780 et auteur de Traité des sensations. La statue n’est autrice de rien mais a longtemps voisiné avec une de Jeanne d’Arc dont l’immobilité lui semble sujette à caution dès l’incipit : «Qu’elle ait bougé ou que je l’aie cru seulement, peu importe. Maintenant je sais qu’en face de moi cette chose était depuis toujours une statue.» Comme ce condillac (seul l’homme qu’évoque cette statue a droit à une majuscule) est situé sur une place du Président Kouiss, il a aussi fréquenté une statue du président Kouiss. Et que faire en un socle à moins que l’on ne songe ? «Quant aux hommes, on ne peut les voir sans leur donner raison de respirer. Pourquoi ? Ils répondraient : «Parce qu’à nous, respirer est utile, à vous non.» Mais je ne comprends pas ce mot : utile. Utile de respirer ? pour qui ? pour leurs poumons, peut-être pour leur nature. Mais pour eux ? Ils ne respirent pas pour eux.» Curieux êtres que les humains. «Ils n’ont pas de chez soi pour l’âme. Leur corps est complet.» Et donc : «Je me demande ce qu’ils appellent penser ; songer ; réfléchir ; quel jeu ce doit être pour eux, quel fa