Sur une place encombrée de cadavres entassés – «que des corps de personnes noires, complètement nus et couverts de poussière» –, une femme vêtue d’une tunique blanche, grande et maigre, noire aussi, marche avec détermination, une pelle à la main. La scène au cœur du nouveau livre du romancier mozambicain fait référence à un moment tragique de la lutte pour la décolonisation. C’était en 1973, deux ans avant l’indépendance du pays : des habitants de la ville de Inhaminga furent massacrés par les soldats de l’armée portugaise.
Dans le Cartographe des absences, roman inspiré de la réalité historique mozambicaine, l’épisode est raconté par un garçon qui ressemble à l’auteur, témoin depuis la voiture de son père. Un extrait du journal intime de l’adolescent, confisqué par la PIDE, la police secrète portugaise, a ressurgi sur le tard. On y lit ce qui suit l’arrivée de l’Antigone mozambicaine. Elle s’appelle Maniara. Les soldats sont divisés sur l’attitude à adopter face à elle. Le massacre est une opération de représailles après un attentat contre un train. Laisser les corps en vue pendant 24 heures fait fonction de message : «Voilà ce qui arrive à celui qui aide les terroristes», est-il écrit sur un panneau de bois. Un bidasse ricane et conseille à son supérieur de laisser Maniara crier. La pancarte ne servirait à rien, les habitants sont analphabètes. «Rendez grâce à Dieu, mon lieutenant : cette négresse est notre meilleure station radio.»
Maniara fait <