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Jeudi polar

«Un seul œil» de Michèle Pedinielli, la maîtrise de la dérision

Dans son nouveau roman, la romancière niçoise plonge son héroïne récurrente, Diou, dans les affres de la perte, et parvient à tricoter la tristesse avec la colère
A Nice, en novembre 2020. (LAURENCE KOURCIA/Hans Lucas via AFP)
par Christine Ferniot
publié le 8 mai 2025 à 9h00

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On l’a connue plus farceuse, la détective niçoise Ghjulia Boccanera, dite Diou pour les amis et les copains de bistrot. Mais ce soir, elle est comme sa ville, dévastée, détruite, broyée. Diou sort de l’hôpital où son ami et colocataire Dan est plongé dans le coma. Ces deux-là sont devenus complices en un instant, lui le galeriste amoureux de beaux garçons et elle avec ses Dock Martins et ses cheveux en tire-bouchon. Mais ce soir elle rentre seule chez elle avec l’image de ce corps immobile qui respire trop calmement. Et pour ne rien arranger, son ex, Santucci, est en deuil et sa vieille voisine du dessous ne va pas bien du tout. Ça pue la mort à tous les étages mais l’héroïne de Michèle Pedinielli n’est pas du genre à pleurnicher dans son coin. Elle peste en broyant du noir, roule dans la cité en poussant les gaz et multiplie les enquêtes parce qu’elle est douée pour ça.

Objectivement, le lecteur trouve sa récompense quand la romancière tricote la tristesse avec la colère. Son héroïne vit mal la cinquantaine avec les bouffées de chaleur et les kilos en trop mais l’humour qu’elle parvient toujours à libérer est un sacré médicament pour tenir le cap et débusquer les salauds. On est loin des détectives privés à la Marlowe. Ici, l’odeur de la mer et de l’huile de friture ajoute ce qu’il faut de réalisme à ce métier qui pourrait sentir la poussière. Au fil des romans – Boccanera, Après les chiens, la Patience de l’immortelle, Sans collier – on voit bien que le talent de l’écrivaine se glisse finement dans les détails. Le regard d’un chien qui se morfond dans la cuisine, les filles du bar qui vous remontent le moral avec un peu d’alcool et beaucoup de dérision, les réveils difficiles et les soirées d’enfer, le silence des chambres d’hôpital quand la nuit tombe. Mais Un seul œil est aussi un roman social au meilleur sens du terme, il s’arrête dans la rue pour constater les dégâts d’une mairie qui pratique la cisaille mécanique avec une dextérité effarante. On oublie les blagues un peu tuyau-de-poêle des premiers livres pour saluer l’écriture technicolor de Michèle Pedinielli, la construction rythmée qui multiplie les points de vue, la maîtrise de la dérision pour éviter de tomber dans l’émotion qui fait tache.

Un seul œil, Michèle Pedinielli, éditions de l’Aube, 280 pp, 18,90 €