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«Monsieur Miroir», Réné de Ceccatty et le beau Serge

Le cahier Livres de Libédossier
L’écrivain retrace la vie haute en couleur de l’ami et artiste Serge Tamagnot, dont la «faim de la célébrité des autres était insatiable».
Armande Altai et Serge Tamagnot, en septembre 2011, lors de la .Fashion Week printemps/ été 2012. (Foc Kan/WireImage. Getty Images)
publié le 18 avril 2025 à 12h00

Il s’appelait Serge Tamagnot. Il était né à Limoges en 1932, et il est mort à Paris, dans un Ehpad, en 2022. Comment définir celui à qui René de Ceccatty consacre son nouveau livre, Monsieur Miroir ? Tamagnot était devenu au fil du temps photographe. On le voit très bien surgissant à la sortie des artistes, quand il immobilisait de son flash les vedettes, animateurs de télévision, chanteurs, actrices. Il collectionnait les autographes, les portraits dédicacés. «Sa faim de la célébrité des autres était insatiable», écrit Ceccatty, pour qui «il était, avec son Instamatic, un miroir de tout ce qui brillait, quelle qu’ait été la source de cet éclat».

Dans le panthéon de ce curieux personnage, on trouvait aussi bien Guy des Cars que Léo Ferré, le mime Marceau ou Line Renaud. Il n’y avait quand même pas que des stars. L’«Index des principaux amis et correspondants de Serge Tamagnot», fourni à la fin de l’ouvrage, compte plus de cent noms, on y croise Arletty, Jean-Louis Barrault, Sempé, mais aussi Nicole Dupuis, réceptionniste aux éditions du Seuil, rue Jacob. L’amant marocain Saïd Ould Didi précède la photographe de guerre Christine Spengler, l’écrivain creusois Georges-Emmanuel Clancier se trouve dans les parages de la costumière Juliette Chanaud.

«Monsieur Vilard appelle souvent»

Scrupuleusement, René de Ceccatty fait et refait des listes, comme pour bordurer le monde flou et fluctuant de Serge Tamagnot. Qui venait le voir dans la «maison de vieux» où il a vécu ses cinq dernières années ? «Monsieur Vilard appelle souvent». Qui se souciait de lui ? Les chanteurs Armande Altaï et Egon Kragel, Brigitte Bardot, étaient de ceux-là, de même qu’Arrabal, Bernadette Lafont et Juliette Gréco l’avaient reconnu comme un frère plutôt qu’un groupie. Le comédien Pierre Grammont, ancien voisin, a accompagné Tamagnot jusqu’à la fin. Ceccatty et lui ont trié le fatras de l’héritage. Le photographe, le collectionneur, avait entassé livres et papiers dans son dernier studio. La salle de bains et la cuisine étaient transformées en cabinet de curiosités, la moindre surface disparaissait sous les souvenirs, les vêtements, les photocopies de ses œuvres que Tamagnot transportait avec lui dans des sacs en plastique.

Serge Tamagnot était un artiste. Davantage que par les clichés volés, il se distinguait par ses collages surréalistes. L’histoire finit bien. Après sa mort, le collectionneur Pierre-Guilhem Métayer a décidé de l’accueillir dans son musée d’art contemporain de la chapelle Saint-Sylvain à Nevers. Les archives ont pris la direction de l’Imec (Institut mémoires de l’édition contemporaine). Les écrivains se relaient dans l’existence du bibliomane Serge Tamagnot, à commencer par Marcel Jouhandeau (filière creusoise) qu’il rencontra en 1959 quand il était peintre sur porcelaine à Limoges. Le beau Serge, arrivé à Paris, manque épouser la fille adoptive de l’écrivain, devient l’homme à tout faire de l’affreuse Elise Jouhandeau, avant d’être celui de l’antiquaire et décoratrice Madeleine Castaing, non moins odieuse, mais qui lui présente en 1960 Violette Leduc.

Il milite au FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire)

C’est en raison de son amitié avec l’autrice de la Bâtarde (disparue en 1972) que René de Ceccatty vient voir Serge Tamagnot l’hiver 1974. Françoise d’Eaubonne présente le jeune thésard de 22 ans au quadragénaire qui travaille alors dans une crêperie. L’écoféministe Françoise d’Eaubonne (1920-2005), aujourd’hui réhabilitée, est morte dans la misère. Tamagnot la protégeait. Ils ont milité ensemble au FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) et fondé un comité Jean Sénac en 1973, peu après l’assassinat du poète en Algérie. Est-ce de s’être battu pour qu’on juge les vrais coupables que Tamagnot, en août 1974, est victime d’une agression ? La mort de Jean Sénac, puis les séquelles de l’agression figurent parmi les pires épreuves de cet homme pacifique, souriant, secourable. La première a été la mort de sa mère et de son beau-père, pendus en 1944 pour collaboration. La dernière est la disparition du chanteur, animateur et diariste Pascal Sevran en 2008. Il n’était pas un amant mais un ami précieux de Tamagnot. L’homosexualité de Tamagnot n’a pas non plus croisé celle de René de Ceccatty. L’amitié les a liés pendant cinquante ans, sans proximité excessive. La définition de ce lien, son évolution au fil des ans, manquements compris, est au cœur du livre. A la fin d’un hommage à Jean Sénac, Serge Tamagnot a écrit : «Qu’est-ce qui fait vivre l’homme, sinon l’amour, l’amitié et l’admiration ?»

René de Ceccatty, Monsieur Miroir. La vie extravagante de Serge Tamagnot, Editions du Canoë, 396 pp., 22 €.