En 1967, la police grecque l’avait placé sur la liste des arrestations prioritaires. Le régime des colonels installé à Athènes n’avait guère goûté le roman que Vassílis Vassilikós avait publié un an auparavant. Il y racontait sous forme romanesque l’assassinat bien réel d’un député de gauche, Grigóris Lambrákis, à Thessalonique en 1963 et l’enquête implacable du juge d’instruction Chrístos Sartzetákis, futur président grec. Le roman sera interdit durant les sept années que dura la dictature. Il était titré Z.
Porté à l’écran en 1969 par Costa-Gavras avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant, sur une musique de Míkis Theodorákis, le film fut primé à Cannes, reçut l’oscar du meilleur film étranger en 1970, tandis que Vassilikós, réfugié en France, devra attendre la chute de la junte militaire avant de rentrer au pays. Depuis, quand il rencontrait un Français, il ne manquait jamais de demander des nouvelles de cette seconde patrie qui l’avait accueilli. Vassílis Vassilikós, écrivain, journaliste mais aussi diplomate grec, est mort jeudi 30 novembre à Athènes, il avait 90 ans.
Né en novembre 1933 à Kavála, dans le nord-est de la Grèce, il avait grandi à Thessalonique, la deuxième ville du pays, où il étudiera au lycée français. Gide, Sartre et Camus entrent alors dans le panthéon personnel de ce futur écrivain, qui se lance pourtant, dans un premier temps, dans des études de droit, avant de partir aux Etats-Unis tâter de la télévision. Mais, de retour à Athènes, il devient journaliste et scénariste. A partir des Idylles de Théocrite et de Daphnis et Chloé de Longus, il écrit le scénario des Petites Aphrodites, de Nikos Koundouros, récompensé en 1963 au Festival de Berlin.
Réquisitoire contre la dictature des colonels
Mais son plus grand succès d’écriture reste évidemment Z, traduit en 32 langues, publié en 1966 en Grèce et en 1967 en France chez Gallimard, comme la quinzaine d’ouvrages qui suivirent jusqu’à l’Européen et la Belle de l’au-delà, en 1999. Même s’il est souvent présenté comme un réquisitoire contre la dictature des colonels, et qu’il vaudra donc à son auteur d’être ciblé par elle, Z a en fait été publié quelques mois avant le coup d’Etat du 21 avril 1967 et se déroule durant la période de régime de droite autoritaire qui précède. L’assassinat qu’il décrit n’en sera pas moins considéré comme un des déclencheurs de la prise de pouvoir des militaires. L’ouvrage de Vassilikós, et le film de Costa-Gavras, deviendront des emblèmes dans le combat pour la démocratie. «Je perds un ami, un frère… a réagi Costa-Gavras. C’était un homme extraordinaire, d’une grande intelligence et aussi d’une grande douceur. Depuis toujours, il était mon conseiller pour tout ce qui concernait la Grèce. Il a toujours eu un regard précis et honnête.»
Après la chute des colonels, Vassilikós sera nommé directeur des programmes de la télévision grecque par le Premier ministre Andréas Papandréou. Alors proche du Pasok, le parti socialiste grec, il sera plus tard nommé ambassadeur à l’Unesco en 1996. Un poste estimait-il alors «équivalent au ministère de la Culture, car c’est par la culture que nous allons défendre nos positions nationales». Militant de gauche infatigable, il avait encore, à 85 ans, été élu député au Parlement grec, sous les couleurs de Syriza.