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Dérive

Mort de Mario Vargas Llosa : du communisme à la droite radicale, chronique d’un glissement politique

Admirateur de Fidel Castro pendant sa jeunesse, l’écrivain péruvien, mort ce dimanche 13 avril, est devenu par la suite un anticommuniste virulent, défenseur d’un libéralisme débridé et soutien des candidats d’extrême droite en Amérique du Sud.
Mario Vargas Llosa lors de la campagne pour l'élection présidentielle péruvienne de 1990. (Ian Berry/©Ian Berry / Magnum Photos)
publié le 14 avril 2025 à 19h06

Automne 2021 : Mario Vargas Llosa est élu à l’Académie française, au fauteuil du défunt philosophe Michel Serres. L’écrivain péruvien, lauréat du prix Nobel de littérature en 2010, est une recrue de prestige. Mais son arrivée parmi les «immortels» suscite la polémique. Dans une tribune publiée par Libération, des universitaires font part de leur «stupéfaction» et dénoncent «une erreur, voire une faute» qui «pose de graves problèmes éthiques» et «ternit l’image de la France en Amérique latine». C’est que le romancier, mort à Lima ce dimanche 13 avril, s’est rapproché à la fin de sa vie de l’extrême droite et de ses principales têtes d’affiche régionales, achevant ainsi la mue politique radicale d’un homme qui avait rêvé d’abord à la révolution socialiste.

Néolibéralisme débridé

Militant dans une cellule communiste de l’Université San Marcos de Lima (il a brièvement adhéré au Parti communiste en 1953), admirateur de Jean-Paul Sartre, le jeune Mario Vargas Llosa s’enthousiasme pour la révolution cubaine, qui porte au pouvoir Fidel Castro en 1959. L’écrivain lui rend visite cinq fois à La Havane. «C’était très difficile pour un jeune Latino-Américain qui découvrait dans les années 1950 les problèmes sociaux et le racisme de ne pas voir dans le socialisme ou le communisme la solution pour un continent ravagé de bout en bout par des dictatures militaires», dira-t-il plus tard. La rupture avec le régime castriste intervient au tournant de la décennie 1970. Choqué par l’appui cubain à l’intervention des chars soviétiques dans Prague et la dérive répressive du pouvoir à La Havane, Mario Vargas Llosa se détourne du socialisme et se convertit au libéralisme, notamment dans le domaine économique.

Ses préférences basculent bientôt vers les partisans du néolibéralisme le plus débridé. Il fait l’éloge du président américain Ronald Reagan et chante les louanges de la Première ministre britannique Margaret Thatcher. En 1990, quand la «Dame de fer» quitte le pouvoir après onze années de politiques antisociales, l’écrivain lui envoie un bouquet de fleurs, accompagné d’un mot doux : «Madame, il n’y a pas assez de mots dans le dictionnaire pour vous remercier de ce que vous avez fait pour la cause de la liberté.» C’est aussi cette année-là que le natif d’Arequipa se présente à l’élection présidentielle au Pérou, avec son collectif «Mouvement liberté», allié à deux partis de la droite traditionnelle. Comme ses modèles en politique, le candidat propose une baisse des dépenses publiques, la réduction du nombre de fonctionnaires et des privatisations d’entreprises publiques.

Anticommunisme virulent

Battu au deuxième tour par Alberto Fujimori, il cesse toute activité politique directe au Pérou mais continue d’intervenir dans le débat politique latino-américain. En 1995, il appelle à «enterrer le passé» de la dictature militaire en Argentine (1976-1983) et épouse les arguments des défenseurs de la «théorie des deux démons» selon lesquels les groupes d’extrême gauche sont également responsables, à cause des violences qu’ils ont commises, de l’avènement des dictatures militaires en Amérique latine. Chroniqueur de longue date du quotidien espagnol El País, il fonde en 2002 un groupe de réflexion néolibéral, s’affiche en Espagne où il vit désormais avec les figures de la droite, et prend l’habitude d’annoncer ses préférences en amont des principales échéances électorales sur le sous-continent.

Avec une constante : un anticommunisme virulent qui le pousse à soutenir quiconque s’oppose à des candidats de gauche, fut-ce un représentant de l’extrême droite. Au Pérou, en 2021, il fait campagne pour Keiko Fujimori, fille de l’ancien président condamné pour crimes contre l’humanité, elle-même accusée de corruption, contre le syndicaliste marxiste Pedro Castillo à propos duquel il agite la menace du «totalitarisme». Au Chili, quelques mois plus tard, il appelle à voter pour le candidat d’extrême droite José Antonio Kast, nostalgique de la dictature d’Augusto Pinochet, «car aucun pays n’a avancé dans le monde grâce aux modèles mis en place par la gauche» que représente le futur président Gabriel Boric – plutôt social-démocrate, pourtant. Même au Brésil, en 2020, il s’est rangé du côté du président sortant Jair Bolsonaro, héraut de l’extrême droite latino-américaine. «Même s’il a un côté bouffon, ce n’est pas Lula», a-t-il expliqué.