«Le grand écrivain isolé n’a d’autre choix que d’attendre d’être expédié directement sous terre. Il ne lui reste maintenant qu’à imaginer le genre de mort que lui prépare la dictature : le poison dans sa tasse de café, un accident de voiture ou le couteau d’un prétendu ivrogne dans quelque obscure cage d’escalier.» Le dictateur a rendu les armes avant lui et Ismaïl Kadaré, qui écrivait ainsi en 1990 (1), a succombé lundi matin à 88 ans à une crise cardiaque à l’hôpital de Tirana. C’était lui le grand écrivain isolé du «pays des aigles», l’Albanie longtemps bouclée par l’impitoyable Enver Hoxha. Survivre en écrivain dans un tel étau tenait du funambulisme. Ismaïl Kadaré a été à la fois reconnu et censuré. Il ne fut ni un dissident – on le lui reprocha – ni un laquais. «C’était ma seule ambition et à chaque fois une victoire à l’arraché ; j’étais écrivain avant même d’être contestataire», disait-il à Libération (en 1999). Sa réussite, ambivalente, est d’avoir fait vivre son œuvre au temps d’une dictature, laissant le lecteur décrypter entre les lignes. On peut parier sur l’histoire d’un homme qui voulait réformer de l’intérieur, il aura fait rayonner l’Albanie autarcique à l’extérieur. «Dans un pareil duel entre tyran et poète, ajoutait-il aussi, c’est toujours, on le sait, le poète qui l’emporte, même si, pour un temps, il peut paraître vaincu.» Sur ce champ de bataille, le poète a laissé une cinquantaine de livres dont une bonne douzaine de
Disparition
Mort d’Ismaïl Kadaré, l’Albanie en toutes lettres
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Ismaïl Kadaré en 1999. (Paulo Nozolino/VU' pour Libération)
publié le 1er juillet 2024 à 11h04
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