Une scène de traîneau dans la plus pure tradition de la littérature russe marque le moment le plus dramatique du roman de Béatrice Wilmos tiré de la vie de la poétesse Marina Tsvetaeva. «La neige ne cesse de tomber, le paysage défile. Des champs blancs et des sapins rigides. Le ciel immense, cotonneux. Le frottement des patins.» Dans le véhicule mû par des chevaux et conduit par un cocher : deux femmes et deux petites filles, Marina Tsvetaeva, son amie Lidia, Alia l’aînée de la poétesse âgée de 7 ans et Irina, 2 ans et demi. Dans la Russie bolchevique de 1919, ravagée par la guerre civile et la famine, l’écrivaine moscovite âgée de 27 ans qui n’a plus aucune nouvelle de son mari, Sergueï Efron, parti combattre du côté des Blancs, s’est résolue la mort dans l’âme à confier ses filles à un orphelinat, à Kountsevo, pas loin de la capitale, où on lui a dit qu’elles auraient à manger. Elle-même n’arrive plus à les nourrir et elles sont souffrantes.
Quelque temps plus tard, ravagée par les remords et la solitude, elle reviendra chercher l’aînée, enfant précoce liée par un amour fusionnel et mimétique à sa mère. Et elle abandonnera la benjamine, qui souffre peut-être d’un léger retard mental : elle ne parle presque pas, se balance tout le temps, devient un souffre-douleur pour les autres pensionnaires de l’orphelinat. La dernière vision de cette petite fille crasseuse et amaigr