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Ils sont deux à tenir les rênes des éditions Agullo, installées à Villenave-d’Ornon, près de Bordeaux : sa créatrice, Nadège Agullo, et son directeur commercial, Sébastien Wespiser. La maison existe depuis 2016 avec pour principe essentiel d’aller dénicher de nouveaux territoires en Europe de l’Est, mettant en place une politique d’auteurs de romans noirs et de polar ignorés des lecteurs français. Auparavant, pendant dix ans, Nadège Agullo était responsable de cessions de droit pour un éditeur anglais. Elle visitait alors ces pays de l’Est en train de s’éveiller à une littérature noire contemporaine. Aujourd’hui, ses choix littéraires sont incontournables, du Croate Jurica Pavicic auteur de l’Eau rouge, roman multiprimé (prix du polar européen et grand prix de littérature policière en 2021) au Slovaque Arpad Soltesz dont le prochain roman, Colère, est attendu en mars. Mais on notera aussi l’Italien Valerio Varesi et le Français Frédéric Paulin, auteur de la brillante trilogie Benlazar, entre 2018 et 2020 et dont le premier tome d’une nouvelle trilogie autour du Liban entre 1975 et 1986 doit paraître en août 2024.
Quand on l’interroge sur ses projets, Nadège Agullo a cette réponse qui pourrait paraître incongrue mais lui ressemble totalement : «J’adorerais publier des Géorgiens, des Slovènes et je guette le premier polar balte.»
En 2015, vous quittez les éditions Mirobole et vous créez Agullo avec l’envie tenace de défricher la littérature de l’est, en particulier le polar, mais pourquoi cette Europe-là ?
Ce sont des pays qui m’ont émerveillée lorsque je travaillais pour un éditeur anglais. Je voyais bien que, là-bas, il y avait une littérature de genre qu’on ne voyait jamais en France. Je me suis dit qu’il fallait y regarder de près. Ces auteurs proposaient une vision de l’histoire et de la société inconnue des lecteurs français. Tous ces petits pays ont été ballottés entre les empires austro-hongrois, russe, ottomans. Puis il y eut la montée des fascismes, des communismes. Aux Etats-Unis, on connaît tout, à l’Est il reste tant à découvrir.
Vous commencez par l’Italien Valerio Varesi et son commissaire Soneri, mais très vite, vous allez vers des auteurs roumains, polonais ou slovaques comme Arpad Soltesz avec le Bal des porcs puis Il était une fois dans l’Est. Ensuite, c’est au tour du croate Jurica Pavicic. Mais comment les dénichez-vous ?
Je multiplie les contacts avec les traducteurs et les centres nationaux du livre. Mais les auteurs eux-mêmes sont de bon conseil. Valerio Varesi et Jurica Pavicic sont de grands lecteurs qui nous guident volontiers. Pour Jurica Pavicic, c’est le centre du livre croate qui nous a conseillé son roman, l’Eau rouge. Le livre n’était pas dans une collection polar mais, pour nous, c’était vraiment du roman noir. En Europe de l’Est, les structures éditoriales sont minuscules, il n’y a pas de cession de droits, il faut insister, s’accrocher et parfois même signer directement avec l’auteur. Je cherche en Croatie, en Pologne, en Slovaquie et en Serbie, un pays où le genre n’existe pas encore, c’est passionnant.
Rencontre
Comment définiriez-vous votre politique d’auteurs ?
Du Croate Jurica Pavicic au Slovaque Arpad Soltesz ou le duo polonais Maryla Szymiczkowa, tous développent une vision politique dans leurs fictions. Tous sont très engagés. En les lisant, nous comprenons mieux comment les citoyens d’un pays vivent les uns avec les autres. Le Slovaque Arpad Soltesz est un journaliste politique très engagé sur les problèmes de son pays. Il a quitté Bratislava après les élections remportées par le parti national populiste pour s’exiler à Prague. Nous publions en mars son nouveau roman, Colère, qui se déroule dans une Slovaquie gangrenée, pendant les années 90.
Le duo polonais Maryla Szymiczkowa écrit du «cosy crime intelligent» mettant en scène une Miss Marple polonaise à la fin du XIXe siècle mais pose aussi la question des droits de la femme. En avril, nous publierons Séance à la maison égyptienne qui se déroule à Cracovie en 1903.
Après la mode des Anglo-saxons et des Nordiques, n’êtes-vous pas en train de lancer la vague des polars de l’est ?
Depuis trois ans, on voit que les «gros» éditeurs, les libraires, les journalistes s’y intéressent. On peut lire des auteurs polonais chez Metailié, Rivages ou Actes Sud. On a ouvert une voie. Un auteur comme Pavicic se vend à 15 000 exemplaires et 40 000 en poche.
Votre maison d’édition est donc rentable ?
Elle est rentable grâce à des aides à la traduction. Nous ne publions que huit à dix livres par an dont quatre à six polars. Les ventes oscillent entre 1 500 et 15 000 exemplaires vendus en grand format. Mais nous avons une politique d’auteurs ainsi qu’une politique de traducteurs qui suivent les écrivains de livre en livre. Et nous restons attentifs à tout ce qui se passe à l’Est. Ainsi, dans le cadre de la saison franco lituanienne en automne, nous allons faire paraître un roman noir du Lituanien Sigitas Parulskis qui décrit la participation de son pays au génocide juif. Vous verrez, c’est un roman très noir et c’est notre premier lituanien.