L’Art de la joie fait partie de ces livres qui vous marquent à vie. Le portrait d’une femme libre et non conformiste qui traverse le XXe siècle et ses fracas avec une audace, un imaginaire, une sensualité, un courage inouïs. Le lire, c’est s’attacher à jamais à la figure de Modesta, l’héroïne, et l’exhumer à intervalles réguliers de ses souvenirs pour mieux appréhender le présent, le mettre à distance et surmonter les tragédies du quotidien. D’autant que Modesta finit par se confondre avec celle qui l’a conçue, l’écrivaine italienne Goliarda Sapienza, dont la vie et la mort sont un roman en soi, que nous retrace sa traductrice, Nathalie Castagné, dans une biographie foisonnante et passionnante publiée ce mois-ci pour célébrer le centenaire de l’écrivaine.
Née dans une famille sicilienne peu conventionnelle et très engagée à gauche («socialiste libertaire» dit sa biographe), Goliarda Sapienza a eu plusieurs vies, comédienne, militante, écrivaine. Quoi qu’elle fasse, elle vivait tout «avec une intensité supérieure à la normale» rapporte Nathalie Castagné, les bonheurs comme les malheurs, et elle a connu beaucoup des deux. Ainsi de sa dépression après que Luchino Visconti lui eut préféré une autre comédienne pour un rôle important dans la pièce d’Arthur Miller les Sorcières de Salem qu’il devait mettre en scène. Ou cette autre dépression qui a suivi l’écr