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Libération
Mercredi pages jeunes

«Ne vois-tu rien venir ?» Deux voix dans la spirale du harcèlement scolaire

Ce roman réaliste plonge dans une relation toxique entre deux collégiennes, chacune habitée par des fragilités mais dont l’une prend l’ascendant sur l’autre, faisant de son quotidien un enfer.
Un livre qui navigue avec pertinence dans la jungle du collège, avec ses amitiés complexes. (Getty Images)
publié le 28 février 2024 à 9h18

Nouvelle année scolaire, nouvelle ville, nouveau lycée. Dans une sorte d’ultime tentative pour sauver leur mariage, les parents d’Orlane Kessler ont décidé de quitter Toulouse pour s’installer dans la commune où la mère a grandi. Pas facile pour leurs trois enfants de se retrouver ainsi déracinés, mais Orlane prend sur elle. Elle comprend bien qu’il en a va de l’unité de la famille. Et puis, même si elle est désormais loin de sa meilleure amie, elle parviendra sûrement à se refaire des copains durant cette année de 3e. Notamment grâce à ses talents de magicienne, une passion qui l’anime depuis qu’elle a 6 ans.

De son côté, Sarah Mariani aborde cette année avec fébrilité. Populaire, belle, charismatique, elle compte bien savourer son nouveau statut d’élève de 3e, situé tout en haut de la chaîne alimentaire du collège. Mais ce diabète diagnostiqué avant les grandes vacances menace de rebattre les cartes. Pas question que quiconque entrevoie son cathéter ou sa pompe à insuline. Ce serait la honte. La déchéance sociale. Il faut absolument qu’elle assoie son autorité, et dès la rentrée.

Ça tombe bien : la petite nouvelle a l’air trop gauche pour se rebiffer. Mal assurée, c’est comme si Orlane tendait le bâton pour se faire battre. Surtout avec ses histoires de tours de magie, un hobby de gros bébé. Il y a toujours un ou une bizarre de service dans une classe, sorte de paratonnerre permettant aux autres de traverser l’année en paix ; cette année, ce sera Orlane.

Dans la mouvance Palo Alto

Ne vois-tu rien venir ?, le roman à deux voix d’Amélie Antoine, tape dans le mille. Habile et percutant, de toute évidence fruit d’un travail sérieux de documentation pour saisir la réalité du harcèlement scolaire, il offre une plongée réaliste dans le quotidien de deux ados, chacune avec ses failles, mais qui vont adopter deux stratégies différentes. Celle de l’agresseur, avec Sarah, fragilisée par la maladie mais qui décide de prendre l’ascendant afin de ne pas se faire marcher dessus ; et celle de la victime, avec Orlane, affaiblie par ses difficultés familiales et son déménagement, trop confiante dans la bonté de ses congénères. Le parti pris est clair, qui s’inscrit dans la mouvance Palo Alto, cette méthode de lutte contre le harcèlement scolaire consistant à (re) donner force et pouvoir à l’élève harcelé plutôt que d’attendre que le harceleur prenne conscience de sa violence.

Les chapitres courts, entrecoupés d’extraits d’interrogatoires qui entretiennent le mystère sur le devenir des deux héroïnes, rendent ce livre pour ados dynamique et addictif, sachant naviguer avec pertinence dans la jungle du collège, avec ses histoires d’amour et ses amitiés complexes. Chaque rôle est savamment pensé, de la copine qui prend ses distances par peur d’être harcelée à son tour à ces nombreux témoins qui pourraient mettre un terme à cet enfer en un rien de temps si seulement ils le décidaient, en passant par ces adultes, parents comme enseignants, dont l’aveuglement est déconcertant. Un roman à mettre dans tous les CDI.

Ne vois-tu rien venir ? Amélie Antoine, Syros, 304 pp., 15,95 €. A partir de 12 ans.