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Témoignage

Nicolas Mathieu: «Annie Ernaux arrive à faire des phrases chargées, au sens chargées d’explosifs»

L’auteur de «Connemara» et «Leurs Enfants après eux» revient sur la place que les livres de l’autrice, récompensée ce jeudi par un prix Nobel de littérature, ont eu dans sa vie.
L'écrivain Nicolas Mathieu, à Toulouse. (Sophie Bassouls/Getty Images)
publié le 6 octobre 2022 à 17h10

«J’ai un souvenir très précis de mes premières lectures d’Annie Ernaux quand j’avais une vingtaine d’années. Elles m’ont tellement marqué que je revois le lieu et je retrouve les sensations, au château de Vincennes, sur la pelouse. Elle est la première à avoir mis des mots très précis sur ce qu’étaient le sort et les affects des transfuges de classe. Elle a mis pour moi des mots sur des choses qui m’habitaient sans que je puisse les débrouiller : la honte de ses parents, la honte d’avoir eu honte. Elle met des mots à la place des autres sur des choses très partagées, ce qui lui vaut une grande partie de son lectorat. Elle parle pour. A la place de.

«Comme Perec avant elle, elle a réussi à trouver une manière d’infuser la matière littéraire avec les apports des sciences sociales. Ses mots, ses phrases transpirent la sociologie. Et il y a dans son écriture un pouvoir de condensation, un rapport fascinant entre la force exprimée et la réduction du texte. Elle cisèle son écriture et ça la densifie. Elle arrive à faire des phrases chargées, au sens chargées d’explosifs. Avec des lignes claires. Comment fait-elle tant avec si peu ? Notamment dans les Années, où elle est capable de passer sans peine de l’intime à l’histoire.

«Juste après la publication de mon premier roman, Aux animaux la guerre, en 2014, elle passait à Nancy et je suis allée la voir en tremblant. Elle m’a dédicacé son roman et je lui ai offert le mien avec une dédicace. Elle a commencé à la lire tout haut et j’étais extrêmement gêné car ma dernière phrase était : “En un mot vous l’aurez compris, je vous aime.”»