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Lundi poésie

«Nous avons un pied dans la vie et l’autre dans le vide» : Christophe Manon, journal de l’expérience de vivre

Poésiedossier
Le poète rassemble ce qui fait une existence dans son dernier livre mêlant notations, listes et souvenirs.
«Signes des temps», explique Christophe Manon, est un «essai d’autobiographie collective». (F. D. Oberland/Effets Libération)
publié le 10 juin 2024 à 15h08

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«Les années sont les années sont les années. Je vois les lèvres remuer, la bouche s’ouvrir en grand et puis se refermer, je vois les yeux écarquillés d’effroi, je vois les adultes repousser leur chaise et se lever brusquement et se précipiter vers la porte, je vois des verres renversés et des taches de vin sur la nappe et des serviettes tombées par terre, mais je n’ai rien entendu, peut-être était-ce la stupeur, nous étions treize à table.»

Le nouveau livre de Christophe Manon s’intitule Signes des temps et il porte une immense ambition, celle de rendre compte de l’expérience commune de vivre. Le recueil se présente comme une suite de textes courts où des images, des expressions, des lieux, des listes s’accumulent, mêlant le trivial et le tragique, la famille et l’histoire, les questionnements et l’amour sensuel.

Un tout disparate

Le tout tient d’un journal dont l’auteur n’aurait voulu rien hiérarchiser, en tout cas non pas raconter les choses, mais les recenser. Le livre est ainsi proche du collage : on peut même penser à la technique du cut-up de Burroughs. Sans jamais de volonté d’apporter un contexte, les propositions se confrontent les unes aux autres, donnant au poème la vérité d’un esprit confronté au souvenir.

«Comme si la lumière naissait d’une pierre. Il n’y avait rien à faire, absolument rien à faire pour lui venir en aide. Elle te connaît sur le bout des doigts. Et je me suis demandé si tu allais venir mais tu n’es pas venue. Mais peut-il en être autrement ? Nous avons tous, nous tous nous avons un pied dans la vie et l’autre dans le vide. As de carreau et dix de trèfle.»

Signes des temps, nous explique Christophe Manon, est un «essai d’autobiographie collective». Le résumé fourni par l’éditeur explique : «La plupart des éléments convoqués sont susceptibles d’appartenir à chacune ou chacun d’entre nous, dans un mouvement qui, selon Georges Perec, “partant de soi, va vers les autres”, et inversement.» Alors que l’héritage de Georges Perec est pris en charge par une nouvelle génération d’écrivains, objet même d’une collection aux éditions l’Œil ébloui, c’est dans la lignée du Je me souviens que Christophe Manon se place ici. A travers ces textes, chacune des aventures de nos vies forme un tout disparate qui donne à lire à la fois la diversité des expériences, la primauté du ressenti et l’inéluctabilité du temps qui passe. Le constat est simple et terrible – et terrible par sa simplicité même : «Ce jour-là j’ai découvert que j’étais un être mortel, mais comment l’accepter ?»

Christophe Manon, Signes des temps, éditions Héros-Limite, 112 pages, 16 €.