Dans un entretien accordé au site CrimeReads, Henry Wise dit notamment ceci : «Je pense avoir toujours été partagé, en tant que sudiste. En partie parce que j’ai grandi près de Richmond, en Virginie, mais j’ai aussi de la famille et des racines profondes dans la Virginie rurale. Ma grand-mère a grandi dans la maison que possèdent maintenant mes cousins, qui date de 1834. Elle a conservé le papier peint français d’origine et rien n’a été rénové dans la partie ancienne de la maison. En entrant dans ces lieux ou dans un cimetière familial, on ressent les siècles et ce qui se cache derrière, le fait que les Amérindiens étaient là avant. Il y avait même des bisons en Virginie.» Tout lecteur de son premier roman s’y retrouvera. Le monde que donne à voir Nulle part où revenir est figé, écartelé et hanté, les aspirations à changer la donne y sont torpillées par le passé persistant, qui vient doucher le présent en permanence, chape de plomb à se pendre.
Dette
Au départ, il y a un meurtre. Un homme est extrait des flammes. Mais ce sont des coups de couteau qui ont eu la peau de Tom Janders, père de famille. Très vite, un gars du coin est interpellé, Zeke Hathom, il a été vu en train de s’enfuir. Le premier, rapporte sa veuve, devait de l’argent au second, ça fait un mobile. Le shérif y croit. Son tout nouvel adjoint, Will Seems, qui a à la fois tiré Janders du feu et arrêté Hathom, non, et pour cause : il connaît Hathom et sa famille «depuis toujours» et il a envers eux une dette immense : adolescent, il a échappé à un tabassage grâce à l’intervention du fils, Sam, son meilleur ami, qui en a gardé de lourdes séquelles. La culpabilité et la quête de rédemption irriguent les 424 pages, elles motivent le retour de Seems dans le comté d’Euphoria, après dix ans passés à Richmond.
Détail qui n’en est pas un : Tom Janders était blanc, Zeke Hathom est noir. Le meurtre ravive le racisme et la rancœur liée au passé esclavagiste de ce deep south américain. Mais une chose rassemble les habitants d’Euphoria et alentour : tous sont damnés. «On aurait pu penser que tout les destinait à s’affronter, mais en fait, ils étaient tapis au fond de la même tranchée, à l’abri du reste de l’Etat, du reste du pays.» Le comté est une enclave quasi carnivore sous la plume de Henry Wise, qui décrit ce décor avec une précision maniaque et une faconde telle qu’on s’y croirait, par exemple dans la plantation familiale décatie où Seems s’est installé. Elle porte le nom de Terre promise, ce qui est au moins aussi ironique qu’Euphoria vu la désolation en présence. Snakefoot, au moins, a un écho aussi vénéneux que la région qu’il désigne, d’où vient Day, la veuve supposément éplorée de Tom Janders.
Requiem
Nulle part où revenir se déploie dans le sillage de Seems, qu’une détective privée noire vient épauler dans sa contre-enquête. Pas du coin, Bennico Watts veut «tout faire péter», mensonges et faux semblants, quand lui oscille entre deux chaises, enlisé, de retour mais comme jamais parti. Le bras de fer entre vitalité et mortification est le vrai suspense du livre, plus encore que savoir qui a tué Tom Janders.
Henry Wise abuse un peu trop des métaphores – «Grand’ma sentit Day approcher comme un orage luisant dans un ciel dégagé. Elle voyait dans l’air autour d’elle des ondes bouger comme des serpents» –, on se croit parfois en pleine démonstration de creative writing, discipline qu’il enseigne au fameux Virginia Military Institute dont il est issu. Mais ne mégotons pas : avec ce requiem pour son sud, aussi âpre que lyrique, Wise opère incontestablement une entrée spectaculaire dans le roman noir.
Nulle part où revenir de Henry Wise, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Julie Sibony, Sonatine, 424 pp, 24 euros.
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