«L’inconnu me séduit, j’envie les ailes des oiseaux, je suis curieuse à l’impossible.» Née dans un siècle qui considérait les femmes comme mineures, Olympe Audouard a pourtant su y vivre en femme libre. Elle y a aussi infatigablement défendu la cause des femmes.
Née à Marseille le 11 mars 1832, Olympie Félicité Jouval grandit en liberté dans un domaine provençal. Elle raconte dans Voyage à travers mes souvenirs (1884), comment son père, veuf et original, l’élève comme un garçon, lui apprend à «rire des préjugés absurdes» et lui transmet le goût des voyages et de la lecture. Grâce à lui, écrit-elle, «j’ai bravé avec énergie et sans scrupule le préjugé qui veut qu’une femme ne soit ni auteur ni conférencière, qu’elle ne se lance pas dans des voyages périlleux et que la politique soit lettre morte pour elle».
Il se montre moins avisé en lui choisissant un mari en 1850. A 18 ans, elle épouse un cousin germain, Alexis Audouard, qui deviendra notaire ; ils ont deux fils. Mais il est volage et violent ; en 1858, Olympe demande la séparation de corps, car le code civil de Napoléon en vigueur interdit le divorce. Elle doit lutter pour obtenir la garde de ses fils et se dégager de la tutelle de son mari, qui a refait sa vie en Algérie. Elle reste toutefois sous tutelle judiciaire, et n’obtiendra le divorce qu’en 1885, à 53 ans, lorsque la loi Naquet l’autorise enfin. Seule à Paris, elle trouve des protecteurs pour l’introduire dans les cercles littéraires : Alexandre Dumas, Victor Hugo, Théophile Gautier, Joseph Méry, Jules Janin, et son éditeur de toujours, Edouard Dentu. Elle profite de l’essor de la presse et se lance dans une carrière de journaliste.
En 1861, elle crée son propre journal, le Papillon. Arts-Lettres-Industrie, qui rencontre le succès. Elle brave ainsi son mari qui lui défend «de prostituer son nom [que la loi l’oblige à conserver] en l’imprimant dans les journaux», mais aussi l’opinion : «Une femme faire un journal ! N’est-ce point là une prétention tant soit peu ridicule ? Et nos amis ne vont-ils pas s’imaginer déjà nous voir une tache d’encre au bout des doigts ? Que notre titre nous défende et les rassure ! Notre journal s’appelle le Papillon. C’est assez dire que nous ne sommes point pédante et que nous aspirons avant tout à être chose légère, ailée, voltigeante, effleurant, n’appuyant pas.» Si la plume de la directrice doit être légère, et volontiers ironique, c’est aussi que la censure veille !
A partir de 1862, elle publie une dizaine de romans, qui explorent souvent la question du couple (Un mari mystifié, 1863, l’Homme de quarante ans, 1868, l’Amie intime, 1873, les Nuits russes, 1876, les Roses sanglantes, 1880, Singulière nuit de noces, 1886, etc.). C’est aussi une grande voyageuse, dont l’autobiographie se termine ainsi : «Ma vie a eu deux parties bien distinctes : l’une terne, douloureuse, c’est celle qui s’est passée en France ; l’autre ensoleillée, gaie, c’est celle que j’ai passée à voyager.» En 1863, après la mort de l’un de ses fils (le deuxième le suivra quelques années plus tard), Olympe part seule explorer le monde et publie ses récits de voyage (les Mystères du sérail, 1863, les Mystères de l’Egypte dévoilés, 1865, le Far-West, 1869, Voyage au pays des boyards, 1881). En 1879, elle crée un hebdomadaire sur ce thème, les Deux Mondes illustrés : Journal des grands voyages, et en 1881, relance le Papillon. Mais en 1884, malade et sans le sou, elle doit quitter Paris pour Nice, où elle meurt le 13 janvier 1890, à 59 ans, d’une congestion pulmonaire.
«Le cri social du XIXe siècle»
Olympe Audouard ne manque pas une occasion de défendre la cause des femmes. Sa vie et ses combats sont le terreau de cet engagement. Elle milite pour l’égalité civile et politique des femmes : une meilleure éducation, le droit au divorce, celui de voter et d’être élue. Comment aiment les hommes, premier roman épistolaire au titre provocateur publié en 1862, lui permet d’asséner quelques vérités : «L’homme est l’égoïsme personnifié. La vanité est son plus grand mobile. […] L’homme le plus amoureux devient ingrat, et parfois cruel, envers la femme dès que son amour est assouvi.»
Quelques années plus tard, elle récidive avec un essai intitulé Guerre aux hommes (1866), qui commence ainsi : «Messieurs, c’est bel et bien la guerre que je vous déclare. J’attaque plus fort que moi, j’attaque le sexe fort […] vous attaquez bien souvent les femmes dans vos clubs, dans vos cercles, dans vos réunions ; médire d’elles, les calomnier est un de vos plaisirs favoris.» Et de poursuivre : «Si l’une d’elles brise les entraves et essaye de s’élever […] votre colère dissimulée sous une amère moquerie la poursuit ; […] ce qui tendrait à prouver que le sexe fort a conscience que la femme pourrait bien finir par lui prouver sa supériorité. On n’est jaloux que de ce qu’on craint.»
Lorsqu’elle veut, en 1867, publier un nouveau journal, la Revue cosmopolite, elle se heurte à un refus du ministre de l’Intérieur, au prétexte qu’elle est une femme ! Elle publie une Lettre aux députés et ironise : «La lettre impériale du 19 janvier semblait nous promettre des horizons nouveaux : tout Français se trouvait libre de fonder un journal politique. Je crus comprendre que ce mot Français voulait dire tout être intelligent des deux sexes». Avant de conclure «en réclamant pour la Française la jouissance de ses droits civils et politiques […] qu’elle soit électrice et éligible». Gynécologie ; la femme depuis six mille ans (1873) est une vaste fresque historique et littéraire sur la position de la femme. Ses récits de voyage démontrent aussi que les Françaises moins bien traitées que les Américaines, voire les Orientales.
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Ses éditoriaux du Papillon sont une autre tribune : «L’invasion des femmes dans l’humanité, l’empiétement des femmes dans le domaine de la pensée, deviennent chaque jour plus sensibles. On le remarque non seulement dans la littérature, mais dans les parties sérieuses, abstraites, techniques, de la science humaine. Les femmes ont conquis sur la brèche leur droit d’émancipation de l’insultante tutelle masculine. Cette tutelle s’expliquait bien sous le règne de la force brutale ; mais elle n’aura plus de prétexte dans notre société basée sur les idées et les sentiments. C’est le cri social du XIXe siècle» (25 août 1862). Elle donne, enfin, de multiples conférences qui sont des spectacles appréciés, car elle s’y montre très drôle et volontiers actrice. Plusieurs seront publiés en volume, comme la Femme dans le mariage, la séparation et le divorce (1870).
Un duel littéraire
Olympe ne déteste pas provoquer ses adversaires en duel. L’une de ces conférences, M. Barbey d’Aurevilly, réponse à ses réquisitoires contre les bas-bleus, le 11 avril 1870, relève le gant et défend les femmes de lettres, que Jules Barbey d’Aurevilly ne cesse de stigmatiser dans ses articles. A propos de George Sand, il écrit : «Ce n’est qu’une plume un peu plus robuste que les autres, parmi ces plumes de perroquet ou de perruche que les femmes agitent», «pour endoctrinailler le genre humain». Il vise aussi Olympe et affirme (alors qu’il a 23 ans de plus qu’elle) qu’elle «est jeune encore et jolie. Du moins, elle l’était […] Devenir laide, c’est, du reste, un commencement d’homme !», «car madame Audouard veut penser ! […] Papillon qui voudrait bien avoir un aiguillon comme une abeille, mais qui ne l’a point, qui ne l’aura jamais». De fait, les femmes sont souvent attaquées sur leur physique, et la beauté blonde d’Olympe convoquée pour détruire ses arguments intellectuels.
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Habile à mettre les rieurs de son côté, Olympe contre-attaque sur le physique efféminé et les vêtements passés de mode du dandy : «Il porte des cheveux d’un beau noir, des dents d’une blancheur éclatante ; il use de la céruse, du carmin et du khôl. Dédaigneux des modes du jour, il se promène dans Paris avec jabot et manchettes de dentelles […] sa redingote, faite selon la coupe de 1830, serre une taille emprisonnée dans un corset.» Elle suppose à son tour qu’il a dû être femme dans une vie antérieure, et poursuit par l’analyse de son style et de ses idées : «Le bas-bleu le fait bondir, la haine qu’il lui porte est irréconciliable, c’est un sujet qui le grise, qui lui monte à la tête et lui fait perdre toute mesure. […] Les phrases viennent comme elles peuvent, souvent grossières, quelquefois contradictoires, et elles manquent leur effet par leur exagération même». De fait, «il n’y a pas que les bas-bleus qu’il déteste, ses antipathies s’étendent plus loin, […] la philosophie moderne, les idées libérales sont pour lui des inspirations de l’enfer». Elle retourne l’allusion à son âge en évoquant un lointain passé : «Franchement rétrograde, il tient au Moyen Age par ses idées […] je regrette seulement qu’il n’ait pas envers les femmes l’aimable courtoisie qui caractérisait les hommes de cette époque.»
Et elle élève le débat : le génie féminin s’épanouira lorsque les femmes recevront une éducation suffisante. «La littérature, ne vous en déplaise, n’est pas plus un art masculin qu’elle n’est un art féminin ; c’est un champ ouvert à toutes les intelligences, et les places y sont occupées par les plus méritants. […] Il existe un génie masculin. Il existe un génie féminin.» Toutefois, «on ne naît pas homme de génie, on ne naît pas savant, on naît seulement apte à le devenir ; l’intelligence humaine a besoin de culture, il faut jeter la semence pour qu’elle produise. Pour s’instruire, […] l’homme n’a qu’à se laisser aller […]. Mais pour la femme, il n’en est certes pas ainsi, tout conspire contre elle : la maintenir dans l’ignorance est le système d’éducation le plus répandu».
«La vapeur a transformé les femmes en hirondelles, elles ont des ailes, et elles s’envolent là où les hommes n’ont point osé aller.» Olympe Audouard n’aura pas pu assister à la progression des idées féministes dans les décennies qui ont suivi sa mort, mais aura été une de celles qui lui ont ouvert la voie.