«La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» Olympe de Gouges, la fille non reconnue du poète et marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, assène ici, en une sentence bien frappée, une tragique prophétie auto-réalisatrice. Mais quand elle est guillotinée le 3 novembre 1793 – elle est la deuxième femme guillotinée après la reine, cinq jours avant Madame Roland – à 45 ans, alors qu’elle est elle-même une abolitionniste convaincue de la peine de mort, notamment victime de sa proximité avec les Girondins, elle laisse un fondement historique indubitable. Longtemps oublié, il resurgit en 1840, et est finalement réaffirmé en 1986 par la journaliste, romancière et militante féministe Benoîte Groult : tout le mouvement féministe, et au-delà toutes les femmes, lui en sont infiniment redevables.
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Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, un texte court en dix-sept articles, vient compléter, voire contrer, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui, de fait, sous son jour universaliste, gommait quelque peu la moitié de l’humanité. L’article I rédigé par Olympe de Gouges ne saurait être plus clair : «La Femme naît libre et demeure égale à l’Homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.» Le II l’est tout autant : «Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression.» Ces deux derniers résonnent de manière si particulière au regard des aléas de l’histoire que l’autrice de la Déclaration traverse et qui vont l’emporter.
Un autre article est très intéressant, car il renvoie, comme bien souvent chez elle, à la problématique des enfants hors mariage et par-delà à celle des filles-mères. La naissance illégitime d’Olympe de Gouges a sans doute contribué à forger en elle ce «pas de côté» qui a fait naître ses vues toujours originales et son audace, voire son insolence. Dans l’article XI, l’affirmation de la libre communication des pensées et des opinions débouche en effet sur un cas si précis qu’il en est assez inattendu : celui des mères et citoyennes pouvant revendiquer la paternité de leur enfant au lieu d’en cacher l’origine. Elle n’est pas la seule à avoir prôné l’égalité des sexes, mais elle est la première à l’avoir gravé d’un burin aussi ferme et surtout à avoir eu l’éclair de génie de s’adosser totalement à la Déclaration de 1789, si partielle et partiale.
L’antiesclavagisme au théâtre
Même si elle est largement passée à la postérité grâce à sa Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, son combat en faveur des esclaves et des Noirs est sans doute tout aussi important et lui vaudra même des menaces de mort. On touche ici à l’intérêt et à la fortune, et l’on sait bien que cette raison est toujours première… Elle n’est pas la seule femme de lettres de son siècle à s’intéresser ardemment à cette question cruciale. Germaine de Staël a dénoncé elle aussi ce scandale. C’est d’ailleurs une tradition familiale bien ancrée chez les Necker d’être antiesclavagiste – le père de Madame de Staël, Jacques Necker, ministre de Louis XVI, attaque avec virulence le commerce négrier pendant les Etats généraux de 1789 – et tout le Groupe de Coppet s’occupera de cette question.
Mais Olympe de Gouges est la première dramaturge – pionnière là encore – à porter frontalement ce sujet sur les planches, ou plus exactement désirant l’y voir, avec Zamore et Mirza ou l’Heureux Naufrage, inscrite au répertoire de la Comédie française en 1785. On se souvient bien sûr de l’Ile des esclaves de Marivaux, en 1725, une courte comédie écrite pour les Comédiens italiens, qui cerne bien le rapport maître-esclave. Sous la plume d’Olympe de Gouges, le ton n’est plus à l’arlequinade et à la morale sociale esquissée en un échange classique de rôles entre maîtres et serviteurs.
Pour subvenir à ses besoins, Olympe de Gouges avait bien entrepris de monter sa propre troupe itinérante de comédiens, possédant décors et costumes. En parallèle, bien en vue dans le monde littéraire, elle pouvait tout à fait prétendre à être jouée au Français, quitte à provoquer l’inquiétude les comédiens. Ainsi justement de Zamore, qui mécontente par trop les propriétaires d’esclaves, bien souvent membres de familles présentes à la Cour, et qui vont peser de tout leur poids. Olympe de Gouges a d’ailleurs risqué de très près la Bastille pour cette pièce, qui finira par être jouée plus tard au Français, la Révolution offrant une autonomie plus large à ce théâtre. L’Esclavage des Noirs, ou l’Heureux Naufrage, le titre que prend Zamore à sa publication en 1792, est si essentiel à ses yeux qu’elle l’invoque le jour même de sa condamnation comme gage de son combat contre toute tyrannie. Mais nous savons que rien n’y fit.
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Outre ces deux combats principaux, il existe peu de fronts où Olympe de Gouges n’ait pas exercé ses vues acérées et renversantes de l’ordre très établi, au prix fort du dérangement qu’elle suscitait et pour finir de sa vie. C’est à ce titre qu’elle est devenue une figure passée à la postérité et un cas récurrent possible de panthéonisation.