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«Au commencement /nous n’avions peur de rien.» Il est un temps, bien avant l’âge adulte, où l’insouciance est un rapport au monde. Ce pays, l’enfance, par lequel on passe tous et toutes, inspire à Orianne Papin des vers économes et des poèmes d’une grande douceur, qui sont autant de fenêtres ouvertes sur un territoire perdu. Et tout cela donne en ce début avril un recueil aux éditions Bruno Doucey, C’était pour du beurre, long chant de réminiscences universelles sur le jeune âge. Du style : «Nous mettions /des cailloux /plein nos poches» ou «Nous étions /de redoutables troqueurs /de jouets, de billes et de cartes».
Plongée mémorielle dans les années prépubères de la vie de la poétesse, ce nouveau livre – après Angoisse(s), Poste restante et Je veux te connaître, chez la Marge, Décharge et l’Aigrette – déploie dans une langue candide – mais pas naïve - un regard poétique renouvelé sur un territoire archaïque. Il met à jour les horizons quasi infinis de l’univers infantile, sa liquidité et sa grande fluidité. «Je n’ai jamais /autant changé /d’âge /de métier /de prénom /de langue maternelle /de voix /d’adresse /de sexe /d’espèce /que pendant mes dix premières années», pépie l’écrivaine, également professeur de français dans un collège de Seine-et-Marne. Car dans cette exploration en prose, s’il y a bien une allégation, c’est celle d’une créativité sans borne et manifeste d’un éden regretté loin des tracas – et du verbiage – des grandes personnes.
Orianne Papin, C’était pour du beurre, éd. Bruno Doucey, 112 pp., 15 euros
L’extrait
Bien sûr on y a cru
que la vie n’était rien d’autre
qu’une partie de cache-cache
puisqu’il fallait décoller
les coquillages des rochers
plonger la main tout au fond
du paquet de céréales
taper joue droite ou joue gauche
localiser la grande ourse
et Charlie
ramasser les châtaignes
creuser dans le sable
deviner la couleur des pétales
quelle main ?
ouvrir les pistaches
et chercher les trèfles à quatre feuilles
nous étions prêts
à renverser le monde
pour y trouver
au moins une
réponse.