A trop boire du saké, on vomit. Osamu Dazai (1909-1948), romancier phare de la littérature japonaise du XXe siècle, présente ainsi son alter ego dans une scène à la fois piteuse et flamboyante. «A Tokyo, c’était la nuit et la neige tombait dru. J’étais saoul, je marchais dans les ruelles derrière Ginza, en marmonnant : “Des centaines de kilomètres jusqu’à mon pays, des centaines de kilomètres jusqu’à mon pays…” comme une sorte de chanson qui se répétait et se répétait. Je marchais en donnant des coups de pieds dans la neige qui s’amoncelait, quand soudain, j’ai vomi. C’était la première fois que je vomissais du sang. Cela a fait un grand drapeau japonais sur la neige. Je suis resté un long moment sur place, accroupi, puis j’ai pris de la neige propre dans mes deux mains et je me suis débarbouillé la figure en pleurant.»
L’image est ici en couleur, mais il semble que ce soit bien la seule. La Déchéance d’un homme, dernier livre de l’auteur, largement autobiographique et publié après sa mort par suicide en juin 1948, semble plutôt un roman en noir et blanc. A cause de la neige, on pense à un photogramme : l’Idiot de Dostoïevski dans le film du même nom de Kurosawa trébuchant dans un hiver japonais. Mais Oba Yozo, le personnage central, n’a pas la candeur du