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Pages jeunes : «Le Goût des mirabelles», le cycle de l’ami

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Chaque semaine, «Libération» passe en revue l’actualité du livre jeunesse. Aujourd’hui, un magnifique album dessiné pour les 3-6 ans, où un arbre et un petit garçon vivent et meurent au rythme des saisons et des générations.
Extrait du «Goût des mirabelles», dessiné au crayon de couleurs. Avez-vous trouvé la tortue ? (Edition L’Etagère du bas)
publié le 22 février 2023 à 15h13

C’est l’hiver. Le petit Gabriel plante dans le jardin de la demeure familiale quelques noyaux glanés dans le verger de son père. Au printemps, l’arbrisseau se fait le confident du garçon, qui a troqué sa petite doudoune pour un teddy. L’ado plante le mirabellier en pleine terre. Page 6 : Gabriel, devenu grand, témoigne à son ami, devenu refuge d’oiseaux, ses élans amoureux pour une jeune femme qu’il vient de rencontrer. Et inscrit leurs initiales dans l’écorce comme pour sceller cette union. Dans le Goût des mirabelles, de Delphine Pessin et Delphine Renon, la vie passe à toute vitesse et chaque grande étape est un ravissement.

Gabriel et Adèle se marient sous la canopée fleurie du mirabellier. Les fruits abondent et les bébés aussi, qui bientôt joueront à la balançoire installée sur une solide branche. Les petites têtes blondes montent dans la cabane perchée, avec les mains poisseuses qui s’empiffrent de mirabelles. L’automne arrive, les feuilles jaunissent et les grands enfants désertent la maison. Gabriel et Adèle, cheveux blanchis, ouvrent grand leur jardin pour les fêtes de famille puis remettent les manteaux d’hiver. Un panneau «A vendre», la vie est derrière eux. Reste le mirabellier.

Le Goût des mirabelles, destiné aux 3-6 ans, aborde le sujet de la vie humaine, et de sa fin, avec une grâce toute réjouissante. L’histoire de ce petit Gabriel – le prénom le plus donné ces dernières années en France – n’est pas si commune qu’elle en a l’air. Le narrateur, très poétique, est en fait le prunier. Au fil du livre, il s’avère que l’arbre tient le premier rôle, traversant les pages et les générations. Il change la focale des histoires jeunesse conventionnelles – où les enfants sont les personnages principaux.

Dans cet album, le cycle de vie – une vie certes très conventionnelle, seul reproche qu’on puisse faire au livre – paraît alors tangible. Le temps de la nature est autre, plus lent, nous regardant grandir, aimer, enfanter et mourir, tout en acceptant qu’on n’y laisse notre trace – un cœur gravé dans un bout d’écorce.

Après des multiples lectures avant le coucher, on a pu deviner dans le dessin très doux une tortue. Elle se niche dans chaque double page, dans chaque étape de la vie de Gabriel et ses mirabelles. Avec cette sérénité et sa discrétion qui caractérisent les piliers de la nature. A se demander si ce n’est pas elle, après tout, le vrai personnage principal.

Le Goût des mirabelles, de Delphine Pessin et Delphine Renon, éd. L’Etagère du bas, 40 pp., 13,5 €.