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Libération
Lundi poésie

«Paroles en état de siège» : Benoît d’Afrique, insoumission accomplie

Le recueil du jeune poète haïtien nous percute avec sa violence ouatée.
Le poète haïtien Benoît d'Afrique. (Editions La Veilleuse)
publié le 5 mai 2025 à 16h21

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«L’infidélité – boussole des insurgés et des poètes maudits.» On a presque eu envie de tout décortiquer vers à vers, d’en gribouiller un par-ci, un par là, ici comme une légende ou là comme une épigraphe. Les poèmes de ce recueil ressemblent à un assemblage d’éclairs de lucidité au milieu de nuits d’insomnie. A des fulgurances.

Après être apparu avec son poème Ma mort dans l’anthologie du concours Poésie en Liberté en 2016 aux éditions Bruno Doucey, le jeune poète haïtien Benoît D’Afrique (il a 28 ans) nous entraîne avec ces Paroles en état de siège dans une errance au bord d’un précipice. Ces bribes sont «les débris d’une vie touchée par un profond malaise», écrit la maison lausannoise La Veilleuse, qui édite ce recueil. Un malaise, une colère ouatée, une violence omniprésente et toujours proche de nous sauter au visage, mais qui ne le fait jamais. A mots couverts, le poète parle ici d’exil, de guerres, de frontières, de douleurs et de sang qui coule. «Cadavres / marre d’en dénombrer sur la traîne du jour / ville soi-disant mienne – capitale de corps muets.»

«Candidat à l’insoumission civile», Benoît D’Afrique a une révolte sous la langue. N’est-ce pas justement le propre de la poésie, une manière sourde de crier sa rage ? «Marre de me faire taxer de poète, écrit-il, j’ai trop de choses à dire.»

Benoît d’Afrique, Paroles en état de siège, éditions la Veilleuse, 71 pp., 16 €.

L’extrait

grève de draps

les morts revendiquent les plis

les passants – légistes des non-identifiés

d’en face ce truc allongé muet comme un doigt d’honneur

sans doute portait un nom

faute de vivres

on mange nos rêves salés

et battements de nos échecs – on ressasse nos migraines

tirées des nuits épuisées

ruines : seules épices pour nos gosiers