La peinture, c’est le monde du silence. Informer là-dessus, le penser parfois, les historiens de l’Art et les professeurs le font. Mais comment le vivre et le faire vivre de l’intérieur, lorsqu’on est écrivain ? Les mots courent derrière les formes, comme des tigres affamés, sans jamais les attraper. Et un grand peintre finit presque toujours par faire regretter à l’écrivain tout le bruit qu’il fait. Dans la Nef de Géricault, Patrick Grainville soigne comme d’habitude le mal par le mal : il se leste à mort, et en avant pour la plongée. Rejeton du capitaine Nemo et d’une danseuse des Folies-Bergères, il descend dans cette «énorme manie océanique» (l’Atelier du peintre, 1989) qu’est la peinture, à bord d’un Nautilus tapissé d’images, d’adjectifs, de dialogues, de variations, de répétitions, de courts-circuits sensuels, d’entrechats, de jambes en l’air, à l’instinct et jusqu’à saturation. Trop n’est jamais assez.
Choc de Géricault dans la chapelle Sixtine, fin 1816, sous le Jugement dernier : «La sombre barque des enfers, tout en bas ; les anges, tout en haut. l’échelle des créatures et du destin. La Vierge porte un voile bleu vif. Le Christ central le fascinait par son originalité. Il n’aurait jamais imaginé un colosse pareil. Cet hercule dirigeant la fresque, comme le grand ordonnateur de la justice céleste. Dieu de la colère, condamnant, bannissant