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Black-out est une affaire d’entre-deux, de temps suspendu et de mise sur pause. Bref, d’interstices temporels desquels surgit la poésie méditative de ce dernier recueil signé Paul de Brancion. Pour concevoir l’ouvrage, publié aux éditions Plaine Page et illustré par des collages de Thomas Beulaguet, le poète, aussi romancier, producteur de radio et fondateur de la revue Sarrazine, s’est astreint à un exercice : soit écrire un poème sur son laptop après chaque épisode de la série américaine Prison Break – «parfois deux» – à partir des émotions et pensées suscitées par le feuilleton. «Black-out c’est le réveil, l’après série pré-post-apocalypse, écrit en guise de préface l’écrivain, par ailleurs agriculteur bio, sachant que ces feuilletons nous sont servis pour nous dédommager de notre angoisse, pour nous faire oublier la catastrophe finale par des tensions télévisuelles organisées et suspendues.»
Cette expérience d’écriture, qui donne des vers nerveux sur l’état du monde biberonné aux technologies d’information et de divertissement (du genre : «l’ordre du jour assurément /devient /expressément morbide» ou «le néant aurait-il /mis sa main sur le monde»), est en effet une tentative de s’affranchir de l’asservissement aux écrans. Une «reprise en main» guidée par des exergues d’auteurs classiques des XVIIe et XVIIIe siècle (Molière, Boileau, Bossuet, La Fontaine ou Rousseau) qui tiennent lieu de phares dans le black-out général de la pensée. On en oublierait, et c’est une piste d’interprétation, qu’il s’agit là d’un combat contre une temporalité imposée, à laquelle le poète répond par la recherche d’un tempo beaucoup plus humain, que l’on sent dans le rythme anxieux de sa prose. On y cerne un monde d’affres (politiques, technologiques, écologiques, etc.) que la poésie permet de déjouer.
Black-out de Paul de Brancion. Ed. Plaine page, 84 pp., 15 €.
L’extrait
TOUT VA VITE
très vite
s’accumule se pourchasse et s’efface
au point que le cerveau s’emballe
«stress» «breakdown» «burn-out»
le cœur cogne dans la cage
thoracique
fatigue des écrans
les yeux se brouillent
jusque dans les larmes
mais moites sur le clavier
téléphone
SMS
vibreur /alarme /buzz
Tweet WhatsApp
communiquer
pouvoir d’ordonner
t’es où ?
eh
dis donc
laisse un message
eh
parlons nous vite
raccroche pas
sommes dans un monde
errant
entre les rives
irréelles
ne parlons pas des jeux console-à-tion
qui sont in-continent(s) à part
fou ?