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«Pénitence», trois criminelles neurasthéniques et fabulatrices

Pour son deuxième livre, l’autrice britannique Eliza Clark a choisi le mode du «true crime» pour raconter le meurtre insensé d’une ado par trois de ses copines dans une ville en bord de mer.
Du décor, Eliza Clark a beaucoup emprunté aux villes anglaises de Scarborough et Whitby. (Getty Images)
par Didier Arnaud
publié le 21 avril 2024 à 11h01

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Nord-est de l’Angleterre, dans un McDo, au lendemain du vote du Brexit. Trois adolescentes viennent de laisser leur amie brûler vive entre les quatre murs d’une cabine de plage. «Aux environs de 4 h 30, dans la nuit du 23 juin 2016, Joan Wilson, une jeune fille âgée de 16 ans, a été aspergée d’essence et brûlée après avoir été torturée plusieurs heures dans un petit chalet de plage. Ses agresseuses, trois autres adolescentes. Toutes les quatre fréquentaient le même lycée.»

Ce livre est un true crime, une vraie histoire criminelle. Un genre proche du nouveau journalisme, dont un des représentants les plus réputés reste Truman Capote avec De sang-froid (1965) ou le chroniqueur amateur William Roughead, avocat écossais qui, de 1889 à 1949, a assisté à tous les grands procès criminels de la Haute Cour de justice d’Edimbourg et leur a consacré des essais.

«Histoires de gens ordinaires»

Ce qui marche, dans cette affaire, c’est sans doute les relations entre les autrices du crime. On les voit échanger des SMS, papoter, vivre leur vie d’adolescentes, s’amuser. Une jeunesse «désenchantée, neurasthénique, fabulatrice, mégalomane et sans avenir, gavée de junk food comme d’histoires de serial killers», note un critique littéraire.

«J’ai cherché un sujet qui soutienne mon intérêt, explique à Libération Eliza Clark. J’écoutais et lisais beaucoup de choses sur les faits divers, les histoires de gens ordinaires poussées à des circonstances extrêmes. Je me demandais aussi quelles étaient les failles de la société qui provoquaient ces crimes. Comment vivaient des gens ordinaires qui ont eu une vie bouleversée. L’ambiance que je crée avec les filles est un mélange des souvenirs que je conserve de mon passage à l’école, de la manière dont je me comportais, de ce dont j’étais capable.»

Du décor, elle a beaucoup emprunté aux villes anglaises de Scarborough et Whitby, touristiques, en bord de mer. «Il n’y a pas beaucoup de choses à faire dans ces endroits hors saison. J’étais heureuse d’entendre des histoires étranges et locales d’adolescentes modernes. J’avais des amies professeurs, qui me racontaient.»

«Territoire à explorer»

A 29 ans, Eliza Clark en est déjà à son deuxième livre. Le précédent, encore non traduit, s’appuyait sur une «fiction d’horreur» souvent comparée à l’American Psycho (1991) de Bret Easton Ellis, «un livre très sombre mais au ton un peu similaire», souligne l’autrice. Elle affirme que ce qu’elle écrit correspond «à peu près à [sa] vision de la vie. Je suis un peu morbide». Plus jeune, elle lisait beaucoup d’histoires d’horreur. «C’est une partie de ma personnalité. On a des éléments de noirceur autour de nous, il faut choisir ce qu’on prend, ces choses terribles qui arrivent.» Pourquoi écrire un true crime ? «Les faits divers constituent un territoire à explorer. Je suis attirée par les événements horribles, c’est sans doute l’ennui de ma vie quotidienne qui m’y pousse.» Ces jours-ci, elle travaille à une collection de nouvelles et aussi à une adaptation de sa première fiction pour la télévision.

Originaire de Newcastle, Eliza Clark vit à Londres depuis cinq ans. Pour elle, un roman n’est pas différent d’une histoire courte, il existe au contraire des liens entre les deux narrations. Quand elle écrit, elle n’hésite pas à jeter les passages qu’elle juge «mauvais». C’est qu’elle n’est pas très organisée, elle écrit tout le temps, plutôt la nuit, «jusqu’à ce que je sois fatiguée». Elle a mis deux à trois ans pour écrire Pénitence.

Pénitence d’Eliza Clark, traduit de l’anglais par Stéphane Vanderhaeghe, Fayard, 464 pp., 24 €.