Le doigt potelé de l’enfant, ou celui, gourd, du vieillard, passent de mot en mot, suivent attentivement la ligne : gare à ne pas sauter un paragraphe, ne pas rater un point, un accent, un -ent à la fin d’un verbe. Il faut bien tout regarder, sinon c’est la bévue, l’accident de la vue. D’aucuns mettent des lunettes, d’autres les ôtent ou en changent, rapprochent ou éloignent les pages. Là encore, il faut que tout soit net, il faut accommoder la vision. Voilà qui conforte l’idée, obvie, qu’on lit avec les yeux – ou parfois, quand les yeux sont sans lumière, avec la pulpe des doigts. Quand on a trop lu, on a des petits yeux fatigués : nul ne songerait à dire qu’on est «assourdi», épuisé par un vacarme, embrouillé par des voix qui parlent en même temps. Et pourtant… Ne dit-on pas «de quoi parle ce livre» ?
Lire semble bien être une question d’oreille, d’écoute, de «concert». Vous lisez ces lignes : mais n’êtes-vous pas en train de les «dire», de les prononcer tacitement ? Cette «voix lisante» ne ressemble-t-elle pas à un discours intérieur (s’ajoutant au flux muet des pensées), à une subvocalisation – qui, cependant, «tendrait à s’amenuiser, voire à disparaître lorsque le rythme de lecture s’accélère (lorsqu’on lit en diagonale, comme on dit, c’est-à-dire en scannant rapidement un texte des yeux». C’est encore là une évidence : chaque lectrice /lecteur la reconnaît, cette voix silencieuse, murmurante, marmonnante, qui parfois fait