«J’ai la crève, je n’ai aucune empathie», prévient Philippe Jaenada, attablé dans la petite librairie de son quartier du Xe arrondissement parisien, la Litote, qui organise ce soir-là une séance de dédicaces. Après deux mois de promo partout en France pour la sortie d’Au printemps des monstres, l’écrivain est un peu las, et il a un rhume. Un peu groggy, faussement grognon – à côté de lui, une bouteille de Perrier : «C’est quoi ça ? Ça ne va pas me soigner. Il n’y a pas autre chose ?» –, il accueille les lecteurs qui défilent avec leur exemplaire. Des voisins, des policiers du commissariat tout proche, sa femme, son fils, deux Bretonnes exténuées qui ont fait le trajet exprès, une grand-mère, des couples – «Je fais la dédicace pour vous deux, vous n’allez pas vous séparer tout de suite ?»
Il est beaucoup question de poids, pas le sien, mais celui du livre. «860 grammes», assène-t-il fièrement. Et 752 pages pour le récit d’un fait divers qui, selon l’expression consacrée, défraya la chronique dans les années 60. Lucien Léger, le condamné de cette histoire, obtint le titre peu enviable de plus vieux prisonnier de France, avec quarante et un ans derrière les barreaux. Son nom dans les médias de l’époque, «l’Etrangleur». Son crime, le meurtre d’un petit garçon, Luc Taron, en mai 1964, pour