On ne connaît que son nom, bien trop discret à son goût, «qui se termine aussitôt qu’il commence. “Pirx”, on dirait tout simplement “x”». Le personnage du pilote Pirx a été créé par l’écrivain polonais Stanislas Lem, disparu en 2006. A l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, le 12 septembre 1921, Actes Sud Exofictions a ressorti en poche deux de ses romans et chefs-d’œuvre Solaris et le Congrès de futurologie, et publie la traduction inédite en français d’un recueil de dix nouvelles parues dans les années 60 avec pour héros ce fameux pilote.
Toutes se déroulent dans l’espace, sur la Lune ou sur Mars, au fil des différentes fonctions de Pirx : cadet réalisant son premier vol d’essai, pilote débutant, expérimenté, capitaine de vaisseau. Les textes peuvent se lire indépendamment les uns des autres, mais il se dessine des constantes, un humour grinçant et des proverbes philosophico-spatiaux tel : «Pirx considérait depuis longtemps qu’on pouvait mieux connaître l’homme à travers son rapport aux robots plutôt qu’à ses semblables.» (la Traque)
Dernière chronique
Dans le Test, le lecteur découvre Pirx jeune et en plein apprentissage, un élève déjà un peu dans la lune. «Que feriez-vous, cadet, si, lors d’une patrouille, vous croisiez un vaisseau venu d’une autre planète ?» lui demande son professeur. «Je l’arrêterais», lance le jeune cadet, «sentant qu’il s’était aventuré bien au-delà de ses connaissances». Dès le lendemain, Pirx qui se considère comme plutôt malchanceux et rêveur se retrouve envoyé dans un vol d’essai très acrobatique. S’il en revient sain et sauf, ce n’est pas le cas du beau et talentueux premier de la classe. Leçon édifiante, et surtout terrifiante : la réalité est bien plus aléatoire qu’il n’y paraît ; ce n’est que par hasard que les circonstances donnent une chance à Pirx.
Plaisir de lecture
A priori banal et timide, Pirx va se révéler au fil des récits de plus en plus aguerri. Loin d’être un cador vaniteux, il accepte avec modestie les missions les plus dangereuses, d’aller là où d’autres ont péri. Il parvient même, par intuition et bon sens, à résoudre les énigmes liées à des avaries techniques ou à la mort d’astronautes. Au fil des histoires, le personnage de Lem prend de la bouteille, se regarde vieillir sans pour autant déprimer. Comme d’autres textes de space opera publiés dans ces années-là, les femmes jouent un rôle totalement négligeable, seul y verra-t-on une allusion à un léger béguin ou une mise en abyme : le pilote lit sur Mars un roman d’amour populaire qui se passe dans l’espace.
Même légèrement surannées, ces nouvelles sont un vrai plaisir de lecture, car Lem se garde bien de glorifier la conquête spatiale et de faire de son pilote un héros. L’atmosphère des installations martienne ou lunaire donne le cafard au contraire, et s’il aime son métier, son personnage n’a pour ambition que d’être juste. Dans la Patrouille, Pirx, pilote depuis trois ans avec 172 vols de patrouille à son actif («La patrouille était comme la varicelle, tout le monde devait y passer tôt ou tard.»), apparaît déjà désabusé : «L’ennui stellaire le rongeait, et ce n’était vraiment pas du snobisme.» Dans ce texte, comme dans le Réflexe conditionnel, il est confronté à la disparition totalement mystérieuse de deux astronautes. Dans un cas, il s’agit de deux patrouilleurs, dont on a jamais retrouvé ni vaisseau ni corps malgré un vieux dicton de pilote, qui dit que «dans le vide, rien ne se perd». Dans l’autre, il s’agit de deux envoyés sur la face cachée de la Lune, mort dans des circonstances étranges. Dans les deux cas, Pirx parvient à en trouver la raison par observation et déduction.
Guerre des nerfs
La nouvelle la plus saisissante est sans doute le Procès. On apprend à Pirx qu’il va commander un vaisseau, le Goliath, avec à son bord des «non linéaires» c’est-à-dire des androïdes insoupçonnables. Il ne doit pas savoir qui est qui dans son équipage. Mais il va se jouer une sorte de guerre des nerfs où chacun de ses hommes lui confesse soit être un humain ou soit être un robot, sans que Pirx n’arrive à démêler le vrai du faux. Mais contre le robot qui ne se fatigue pas, ne dort pas, ne tombe pas malade, l’humain va au final sortir vainqueur en raison de… son indécision. Dans Terminus, Pirx se retrouve à piloter un énorme cargo vétuste et sa cargaison avec à l’intérieur un robot dénommé Terminus qui erre et appelle encore ses anciens commandants, pourtant morts depuis seize ans. Terre à terre, Pirx conclue à l’obsolescence définitive du robot, sorte de chevalier sorti du Magicien d’Oz, plutôt qu’à une présence fantôme. Tout est dit.