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Lundi poésie

«Poèmes fantômes» d’Emmanuel Moses, usual suspectres

Dans son dernier recueil, le poète, romancier et traducteur prête sa plume à des homologues fantomatiques. Autant d’alter ego imaginaires pour dire les thèmes universels de la poésie que sont le temps, la mélancolie ou l’amour.
Dans «Poèmes fantômes» d'Emmanuel Moses, on navigue dans une prose caméléon qui les contient toutes.
publié le 12 février 2024 à 10h39

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«Un poème fantôme hante le crâne d’un poète / Qui se lève uniquement pour regarder par la fenêtre la ville-fantôme.» La dernière livraison d’Emmanuel Moses, Poèmes fantômes (éditions LansKine), est une affaire de spectres. Car les poètes (Tiago Domingues, Dom Stuart, Wang-Fô, Pavel Gruza, etc.), auxquels le traducteur – de l’hébreu, notamment – prête sa plume, n’existent pas. Ce sont des êtres d’encre ou de papier, des apparitions fantomatiques nées de l’esprit vagabond d’un poète-réceptacle.

Et l’on navigue ainsi dans une prose caméléon qui les contient toutes, une prose dont on ne peut plus dire qu’elle est rêvée ou empruntée à des écrits bien réels, une prose qui est l’essence pure de la verve poétique. Voyez par exemple dans les vers d’un «poète portugais» contemporain, la manifestation de la saudade («Nous nous sommes aimés jusqu’à perte de lune / Te souviens-tu des dernières étoiles qui s’éteignaient une à une ?») et dans les psaumes de guerre d’«un poète écossais et moine bénédictin» du tournant du XXe siècle, l’allusion lyrique et romantique («Vous pensiez à la tranquillité cruelle des lendemains / Seuls dans votre engouffrement»).

Ces voix imaginaires, que le poète multiprimé et romancier – un habitué de nos colonnes – s’approprie, sont néanmoins un prétexte. Confiées à des alter ego, elles sont autant d’échos des thèmes fétiches (le temps, la mélancolie, le désir, etc.) qui traversent l’œuvre prolifique et ramifiées d’Emmanuel Moses et dont Etudes d’éloignement, recueil paru en mai chez Gallimard, était un autre précipité. On retient une écriture sensible, tantôt contemplative, tantôt insomniaque.

Poèmes fantômes d’Emmanuel Moses. Editions LansKine, 88 pp., 14 euros.

L’extrait

Dans le ventre de ta mère tu étais seul

Et au monde tu viens seul

Pour vivre seul tant d’aubes et tant de soirs

Dans les bras des femmes aussi

C’est la solitude qui t’étreint

Et en elles, tu te meus dans une profonde solitude

Plus tard, là où le chemin t’est encore invisible

Sans heurt se fera le passage

Vers une nouvelle solitude.