Abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.
Il a, au fil de ses romans à succès, habitué ses lecteurs à de gros pavés de plus de 700 pages. Mais comme nombre d’auteurs, Bernard Minier s’est lancé dans l’écriture avec des nouvelles, vite oubliées ou cachées au fond d’un tiroir. Un genre littéraire qui, avec Edgar Poe, Conan Doyle ou Hoffmann (et Asimov, Clifford D. Simak et Lovercraft pour la SF), ne pouvait que séduire l’adolescent timide et solitaire qu’était le petit Bernard dans la vallée pyrénéenne de son enfance. «Qu’est-ce qui fait qu’à cet âge, les mots pénétraient en nous avec une force, un retentissement qu’ils ne retrouveront jamais complètement par la suite ? Qu’est-ce qui fait qu’en ces temps là, nos jeunes esprits percevaient avec la sensibilité d’un instrument de haute précision le moindre soupçon d’étrangeté émanant d’un récit, nous mettant aussitôt les nerfs à vif et les sens aux aguets ?» s’interroge-t-il dans la préface de son dernier ouvrage les Chats, sous-titré Quatorze histoires mystérieuses, diaboliques et cruelles.
Un recueil de nouvelles donc (certaines toute récentes, d’autres écrites bien avant la publication de son premier roman, Glacé, en 2011) alternant entre polar, fantastique, roman noir, SF ou mystère ; dans lesquelles l’auteur se plaît à mêler «le frisson et l’intime, la peur et le grotesque, le bizarre et le monstrueux». Sans jamais annoncer – et c’est une des grandes réussites de l’ouvrage – dans quel genre il nous égare. Ici, l’héroïne est-elle en proie à la folie ou poursuivie par un véritable tueur ? Là, le narrateur est-il mort ou rêve-t-il sa mort ? Par quelle pirouette se conclura cette ultime nouvelle ? Est-on dans le Horla, une enquête de Sherlock Holmes ou dans les Contes de la crypte ?
Histoires glaçantes, grinçantes ou troublantes
On suit ainsi deux couples de touristes cyniques adeptes des «dark travels», ces voyages organisés dans des lieux maudits (Tchernobyl, le Rwanda ou les lieux de torture de la dictature argentine) ; avec un vieux médecin espagnol, on découvre les secrets de la «colonie» où se cachent depuis la fin de la guerre de mutiques résidents allemands (l’histoire se passe en 1978, à la fin du franquisme) ; vient ensuite l’étonnant concours de nouvelles organisé par un érudit excentrique qui reçoit deux textes identiques – à un mot près ! – rédigés par deux auteurs qui jurent ne pas se connaître ; un check-point en plein désert durant la guerre du Golfe ; la nuit de ce médecin légiste seul face à un étrange cadavre, ou celle de cet animateur de talk-show contacté par un serial killer qui souhaite passer dans son émission… Autant d’histoires glaçantes, grinçantes ou troublantes. Reliées à l’actualité ou sorties de nulle part.
On s’attardera pour finir sur les Chats, nouvelle ayant donné son titre à l’ouvrage, petit bijou que n’aurait pas renié Edgar Poe ou Guy de Maupassant, et qui, présenté sous forme d’une correspondance (l’action se déroule en Ecosse durant la Seconde Guerre mondiale), nous fait pas à pas glisser de la réalité vers un rêve sans fin.