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Caryl Férey a grandi à Montfort-sur-Meu, en Ille-et-Vilaine. Il en plaisante souvent dans ses interviews et ne cache pas qu’il a choisi de faire le tour du monde pour échapper à ce village au nom improbable. Guidés par le romancier, ses lecteurs ont donc voyagé du côté de l’Argentine, la Nouvelle-Zélande ou le Chili. Il lui fallait du grand air, de la documentation soignée, des histoires engagées et de la fiction, rien de commun avec Magali, nouvel opus de l’écrivain qui se penche sur un fait divers réel, le meurtre d’une jeune mère de famille assommée puis étranglée par son mari. Magali, simple prénom, femme oubliée, n’a laissé que quelques articles dans des quotidiens au moment de la découverte du corps et des aveux rapides du criminel. Mais elle a vécu à Montfort-sur-Meu et Caryl Ferey a décidé de mettre de côté ses projets au bout du monde pour se pencher sur ce féminicide dans ce «lieu unique qu’on retrouve presque partout dans la campagne bretonne». À peu de chose près, le romancier aurait pu rencontrer Magali, partager une barbe à papa et une bière à la fête foraine, danser au bal en faisant le kakou.
Il a voulu faire son enquête et travailler comme un «fait-diversier» afin de comprendre comment et pourquoi, le 11 février 2021, Magali Blandin a disparu. Le travail est classique : remonter les pistes, lire tout ce qui a été écrit sur l’affaire, rencontrer des témoins, les avocats, les gendarmes. L’histoire est moins simple qu’elle n’en a l’air et le bilan est tragique, semé de suicides, de solitude mais surtout d’indifférence à l’égard de Magali dont la silhouette reste floue.
Ce livre court et modeste prend de l’ampleur au fil des pages. Il devient récit autobiographique puis réflexion sociale et universelle. L’enfance de Caryl Ferey se dessine à travers sa quête, parcourant des rues qu’il ne reconnaît plus, sillonnant le patelin dans la Honda Civic de sa mère, cherchant en vain sa rue de la soif et la boîte de nuit où il attendait le petit matin la tête dans les étoiles. Mais grâce à cette reconstitution pleine de musique et de Chouchen, un monde se dessine, celui d’un ado qui a toujours préféré les atlas aux cahiers Clairefontaine. Et Magali ? Elle aussi prend forme, derrière la violence d’un mari roué, d’une famille et de quatre enfants désormais perdus, de son envie de liberté. Elle sort de l’ombre et devient le symbole de toutes les femmes dépossédées. Magali a leur visage et c’est grâce à l’écrivain Caryl Ferey qu’elle se place au-devant de la scène, telle «une quadra simple et moderne». Demain, l’écrivain reviendra à la fiction, mais cette incursion dans le réel du côté de Montfort-sur-Meu est une réussite. Et une nécessité.