Menu
Libération
Retour à Manderley

«Rebecca» : du rêve au cauchemar à Hollywood

Dans son roman noir, Michel Moatti se glisse dans la peau de la comédienne Judith Anderson - la cruelle Mrs Danvers dans le film réalisé par Hitchcock d’après le livre de Daphné du Maurier - et raconte toutes les turpitudes du tournage.
Judith Anderson (Mrs Danvers) et Joan Fontaine (Madame de Winter) dans «Rebecca» (1940), d'Alfred Hitchcock. (Photo12. AFP)
publié le 13 juillet 2025 à 10h00

Retrouvez sur cette page toute l’actualité du polar et les livres qui ont tapé dans l’œil de Libé. Et abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.

Pour qui a été fasciné par le film Rebecca, réalisé par Alfred Hitchcock d’après le roman de Daphné du Maurier, ce roman noir est une merveille. Michel Moatti s’est mis dans la peau de Judith Anderson, l’actrice qui interprète la redoutable gouvernante Mrs Danvers, monstre de machiavélisme et de cruauté, et raconte à travers son regard l’épouvantable ambiance qui régnait sur le plateau et les multiples meurtres ou tentatives d’assassinat liés de près ou loin au tournage du film.

On finit par ne plus trop savoir ce qui relève de la réalité ou de la fiction dans ce roman mais peu importe. Michel Moatti, en préambule, précise bien que les éléments et personnages de ce livre «sont librement inspirés d’épisodes authentiques survenus lors de la production du film» et que «plusieurs événements criminels évoqués ont réellement eu lieu aux alentours immédiats du studio dans lequel s’est déroulé le tournage». Ce qui paraît fou car, alors que l’ambiance était déjà extrêmement pesante sur le plateau – par la faute d’Alfred Hitchcock qui tenait à plonger ses comédiens dans l’atmosphère très angoissante de Rebecca –, plusieurs meurtres atroces de jeunes femmes se sont produits dans les environs, ajoutant à l’horreur du tournage.

«Un château de Blanche-Neige sous un hangar»

Rien n’a été laissé au hasard par le réalisateur, et d’abord la recomposition en carton-pâte de la mythique demeure de Manderley, hantée par le fantôme de la première Madame de Winter, celle-là même que Mrs Danvers, sa gouvernante, aimait à la folie, au sens propre, jusqu’à vouloir tuer la deuxième Madame de Winter, incarnée par la fragile et malléable Joan Fontaine. «Ils ont fabriqué un château de Blanche-Neige sous un hangar et ils l’ont appelé Manderley ; ils ont recréé la Côte d’Azur en Californie, entre Big Sur et Pfeiffer Beach, et reconstitué le casino de Monte-Carlo au fond d’un studio loué à RKO, dans un coin un peu paumé de L.A., juste à côté de Culver City», écrit Moatti. Voilà pour le décor.

Le casting, lui a été une véritable aventure et pourrait à lui seul donner lieu à un roman. Deux rôles étaient très convoités : celui de Mrs Danvers et celui de la deuxième Mme de Winter, la première Mme de Winter n’étant qu’un fantôme absent mais omniprésent. Pour le premier rôle, Hitchcock a dû se battre pour imposer Judith Anderson, un choix dont le redoutable producteur David Selznick n’était pas convaincu. Ce rôle était surtout brigué par la non moins redoutable Joan Crawford, dont le visage a servi de modèle à la méchante reine du Blanche-Neige de Walt Disney. Mais celle-ci, malgré toutes ses vilenies, n’est jamais parvenue à ses fins.

Sadisme dingue

Quant au rôle de la jeune Mme de Winter, il a été attribué à Joan Fontaine après que Vivien Leigh a fait le siège d’Alfred Hitchcock pour l’obtenir. Mais pour interpréter ce personnage de femme faible et effarouchée, celle qui venait de jouer la capricieuse Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent ne pouvait pas faire l’affaire. D’autant qu’elle était la fiancée de Laurence Olivier pressenti pour jouer… Monsieur de Winter. Vivien Leigh parviendra néanmoins à obtenir de rester sur le tournage, contribuant à alourdir l’atmosphère, refusant d’accepter les scènes de baiser entre Laurence Olivier et Joan Fontaine et, peut-être, adressant des lettres de menace anonyme aux unes et aux autres. Elle accomplira aussi le tour de force d’être choisie comme modèle pour le tableau représentant Rebecca, la première Mme de Winter, ce qui permettra à Hitchcock de dire qu’elle a finalement obtenu d’interpréter Rebecca. Hitchcock qui, au passage, va faire preuve d’un sadisme dingue en demandant à toute l’équipe du tournage d’être désagréable avec Joan Fontaine afin que la comédienne soit dans un état de stress et d’insécurité permanent, plus raccord avec son rôle.

A lire ce roman, nourri d’informations connues ou moins connues sur les rivalités et les turpitudes de l’époque, on se dit que le rêve de Hollywood est bien un mirage et qu’il s’agit plutôt d’un cauchemar parfois meurtrier. Un cauchemar qui a néanmoins permis d’engendrer quelques chefs-d’œuvre à l’image de Rebecca, revu il y a peu, auquel ce roman rend un magnifique et palpitant hommage.

«Rebecca, dans l’ombre d’Hollywood», de Michel Moatti. éditions Hervé Chopin, 238 pp, 19,50 €.