Il s’est passé quelque chose à Iéna, en Allemagne, entre 1794 et 1801, au moment où la révolution française bouleversait l’Europe et où Bonaparte s’imposait ; quelque chose d’à peu près aussi rare et improbable, dans l’ordre de l’esprit, que la naissance de la vie sur Terre. Un scientifique dirait qu’il a fallu une série de hasards et de circonstances pour que naissent ici, à travers les amitiés et les amours volcaniques d’une dizaine de créateurs de génie, dans cette petite ville d’un petit État allemand, une ville qu’on traversait à pied en quinze minutes, deux phénomènes qui allaient transformer le rapport de l’homme occidental à lui-même, à la nature et au monde : l’idéalisme et le romantisme allemands. «Ils étaient nés dans un monde si différent du nôtre, écrit l’historienne britannique Andrea Wulf, qu’on peine à l’imaginer, une Europe dirigée par des monarques qui décidaient de la majeure partie de la vie de leurs sujets.» C’est ce monde que par leurs poèmes, essais, traités, romans, théâtre, revues, cours universitaires, ces êtres d’élite et omniscients, souvent caractériels et peu aptes au compromis, mais toujours plus grands dans la création que petits dans la jalousie, ont changé de l’intérieur au moment même où la révolution et la guerre le détruisaient. Par eux, le «Moi» devint central et la science et l’expérience, qui exigeaient la rigueur de l’observation critique, ne s’opposèrent plus à l’imagination. Fichte écrit alors que celle-ci est «le f
Histoire littéraire
L’historienne Andrea Wulf raconte le romantisme allemand: à Iéna, les copains d’abord
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Iéna, 1797. De gauche à droite : Schiller, Wilhelm et Alexander von Humboldt, Goethe. Image colorisée d’après un dessin de Ludwig Richter. (Ullstein Bild. Roger-Viollet)
par Philippe Lançon
publié le 17 mai 2024 à 15h55
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