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Beaux livres

«Herbier de prison» : Rosa Luxemburg, révolutionnaire en herbes

Le cahier Livres de Libédossier
Entre 1915 et 1918, la spartakiste assassinée en 1919 compose en prison un herbier aujourd’hui publié avec une soixantaine de lettres.
Extrait de l'herbier de prison de Rosa Luxembourg, cahier composé en avril-mai 1915. Anémone hépatique et pâquerette. (Ed. Héros-Limite. DR)
publié le 8 décembre 2023 à 11h45

Elle signe «Votre Rosa» à l’attention de ses correspondants, et le lecteur cent ans plus tard est tenté de lire «Notre Rosa». Car Herbier de prison fait naître un irrépressible élan du cœur pour son autrice, Rosa Luxemburg. La socialiste révolutionnaire (1871-1919) y apparaît comme une femme à la fois émancipée, soucieuse des autres, rendue inquiète par les atteintes faites à l’environnement et la maltraitance animale. Bref extrêmement proche, et même, et tant pis pour l’anachronisme, comme une femme d’aujourd’hui.

Enfermée pour ses positions pacifistes

Le livre sorti cet automne aux éditions Héros-limite, édité et préfacé par Muriel Pic, spécialiste des «élégies documentaires», rassemble des planches de plantes pressées ou collectées pendant trois années passées derrière les barreaux et une soixantaine de lettres. Certaines ont eu l’aval de la censure, d’autres sont passées clandestinement.

En prison, où elle est enfermée pour ses positions pacifistes en pleine Grande Guerre, Rosa Luxemburg ne se laisse jamais aller. Entre avril 1915 et octobre 1918, elle herborise, écrit des textes théoriques, rédige sa correspondance, lit, «coache» son amie Sonia, la jeune épouse de l’autre grande figure du mouvement spartakiste, Karl Liebknecht, également écroué.

Sa passion pour les plantes n’est pas née en détention. A son jeune «ami intime», Hans Diefenbach, Rosa écrit après s’être décrite comme «un bourdon gelé» : «Que je suis contente de m’être plongée dans la botanique, il y a trois ans, comme je me précipite dans tout ce que je fais, avec toute mon ardeur, avec mon être tout entier, de sorte que le monde, le parti et le travail disparurent de mon horizon et qu’une seule passion m’habita nuit et jour : errer dehors, dans les prairies printanières, rapporter de pleines brassées de plantes, puis à la maison les classer, les identifier, les répertorier dans des cahiers.»

Rosa Luxemburg va composer un herbier de prison en sept cahiers. De son écriture irrégulière, elle donne des indications sur chaque plante, les circonstances de sa collecte. Certaines, pressées par ses amies, lui ont été envoyées dans des lettres. D’autres ont été mises à plat par la prisonnière lorsqu’elle recevait de l’extérieur des bouquets. Et enfin, et ce sont les planches les plus émouvantes, des fleurs ou feuilles ont été ramassées dans la prison, la cour, le potager, ou à l’occasion de sorties en ville autorisées sous la garde d’un militaire.

Une extraordinaire leçon de vie

Les reproductions des planches laissent voir la fragilité, la transparence, la délicatesse des couleurs de ces reliques végétales chéries par la prisonnière. Mais en dehors du plaisir visuel que l’on en tire, Herbier de prison est d’abord une extraordinaire leçon de vie. Rosa Luxembourg a traversé des grandes épreuves, son «calendrier de prison» montre qu’elle a perdu 10 kilos dans la première partie de son emprisonnement. Cette femme à la taille lilliputienne, boiteuse, ne se plaint jamais. Elle se nourrit d’érudition, de strophes poétiques connues par cœur, de la ­contemplation du ciel, des nuages, et se montre ravie des enseignements que l’observation des oiseaux, eux libres, lui fournit. En cela Rosa Luxemburg est une vraie romantique allemande, la fascination des tombeaux en moins. Pourtant avec la guerre, la mort est partout. En 1917, elle avoue son désespoir, à l’annonce de la mort au front de Hans Diefenbach.

Elle est libérée l’année suivante alors que commence la révolution de novembre. Deux mois plus tard, elle est assassinée. On ne sait pas exactement comment son herbier s’est retrouvé dans des archives en Pologne (Rosa Luxemburg est née dans une famille juive polonaise), mais c’est à l’occasion d’un projet d’expertise d’un corps retrouvé dans le sous-sol d’un hôpital berlinois en 2009 que ces planches ont été portées à la connaissance du grand public, une trace d’ADN de la spartakiste ayant pu être prélevée dans l’herbier.

Rosa Luxemburg, Herbier de prison, édition et préface par Muriel Pic, Héros-limite, 360 pp., 36 €.