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Jeudi polar

S.A. Cosby : l’art de raconter l’abandon des pauvres aux Etats-Unis

Dans son nouveau thriller, «le Roi des cendres», le romancier continue à fouiller l’âme humaine et à dénoncer la violence exercée sur les noirs américains.

Il n’y a qu’à lire les titres de ses romans pour comprendre l’esprit de S.A. Cosby, Afro-Américain de 52 ans qui décrit comme personne un sud rural qu’il habite toujours. (Sam Sauter)
Par
Christine Ferniot
Publié le 23/10/2025 à 9h54

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Shawn Andre Cosby a une histoire bien rodée mais irrésistible pour parler de sa vocation d’écrivain. En souriant, il explique qu’enfant, sa grand-mère lui lisait des contes de fées. «Je trouvais ça un peu mièvre et ma grand-mère m’a dit que si je n’étais pas content, je n’avais qu’à en écrire moi-même. Je suis parti dans mon coin et je suis revenu avec mon cahier. Elle a lu et elle m’a dit, d’accord !» Cosby avait 5 ans et son avenir était donc plié. Il raconterait des fictions sans prince ni princesse, des histoires qui ne finiraient pas par des mariages dans des châteaux. Né dans le sud-est de la Virginie, au cœur d’une famille modeste, il dit souvent que les livres l’ont sauvé. Grâce à sa mère, sa grand-mère et sa tante, exclusivement des femmes, qui aimaient la lecture, les romans en particulier, il s’évadait d’un quotidien violent et des petits métiers. Finalement, tout peut servir. Par exemple, son expérience d’employé dans un funérarium a inspiré à Shawn certaines scènes de son dernier roman, le Roi des cendres où le personnage principal cherche à fuir le passé familial et le «crématorium de brique rouge» de Jefferson Run, sa ville natale.

Masculinisme et religion à outrance

Il n’y a qu’à lire les titres de ses quatre romans traduits en français pour comprendre l’esprit de cet Afro-Américain de 52 ans qui décrit comme personne un sud rural qu’il habite toujours. Les Routes oubliées, la Colère, le Sang des innocents et le Roi des cendres brossent le portrait d’un pays où l’on abandonne les pauvres au bord des routes. Ils sont destinés à devenir dealers ou à mourir sous les balles des policiers. Les plus dégourdis rêvent de partir loin, comme Roman Carruthers, jeune noir brillant, devenu «gestionnaire de fortune». Il s’est installé à Atlanta et rechigne à renouer avec sa famille restée à Jefferson Run. Plus violent que les Routes oubliées, moins politique que la Colère ou le Sang des innocents, son nouveau et excellent polar plonge dans les liens familiaux qui se délitent, les difficultés quotidiennes d’une ville laissée à elle-même et aux gangs ultra-violents qui ont toute latitude pour étendre leur pouvoir. Tout est tragique dans ces lieux et ces destins d’hommes et de femmes qui ne pourront pas s’en sortir. Mais Roman Carruthers est obligé de rentrer au pays, sa sœur a besoin de lui, son jeune frère s’est mis dans une histoire pourrie, la famille n’attend que lui.

Cosby ne se fait pas d’illusion, Trump le maléfique le rend fou et il regarde son pays sombrer dans le masculinisme et la religion à outrance avec désespoir. On pense alors à Barack Obama qui célébrait l’œuvre de Cosby et le recommandait vivement.

Monde en miettes

Dans le Roi des cendres, Roman Carruthers va voir une fois par mois Miss Delicate, une professionnelle qui le domine violemment, lui met les menottes et ne manque pas d’accessoires pour faire mal. «La pénitence, le châtiment, l’absolution», murmure le héros tête baissée avant de retourner voir son père. Trois mots qui poussent à réfléchir sur le destin de ce monde en miettes.

Dans tous ses romans, Cosby souffle le froid et le chaud, l’intense et l’émotif. Il est sauvage et complexe et le thriller est son genre littéraire de prédilection explique-t-il, celui qui permet de fouiller l’âme humaine sans détour. Son prochain roman ne devrait pas se dérouler en Virginie mais la violence sur les noirs américains sera au cœur de l’intrigue du côté de L.A., dans ces années 90 où ça tabassait dur chez les flics tout-puissants.

S.A. Cosby, le Roi des cendres, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Szczeciner, éditions Sonatine, 408 pp., 23,50 € (ebook : 15,99 €).