Elle a 5 ans, des lunettes, et passe beaucoup de temps seule. «L’enfant hors champ» de Sarah Elena Müller vit dans un monde parallèle à celui de ses parents. Le père pense essentiellement à son emploi – sauver les espèces en voie de disparition –, la mère est au foyer, déteste le travail domestique, et passe son temps à sculpter de la glaise, des écouteurs sur les oreilles. La télévision est interdite à la maison, les parents sont supposés être progressistes et aimants.
«Casquettes floquées»
Dès qu’elle le peut, l’enfant file chez les voisins : l’étrange Egon, philosophe des médias venu de Berlin, attelé à son «grand œuvre», et Gisèle, sa femme, atteinte de «névrose du voyage». On est dans un village de montagne suisse. A l’école, où la fillette finit par aller, les élèves portent des couvre-chefs, reflet de la profession des pères. Premier jour de scolarisation : «Tous les camarades de classe portent des casquettes floquées au nom des principaux fabricants de machines agricoles. Aussitôt une rivalité se déclenche entre le camp Aebi et le camp Metrac. L’enfant zigzague entre les deux, coiffée de sa casquette WWF.» Autant dire qu’elle souffre d’une impopularité record.
Le découpage chronologique suit le développement de la fillette dont on ne connaît pas le nom : «l’enfant», «la fille», «la jeune fille», «la jeune femme». Mais à tous les âges c’est toujours la même voix, celle d’une personne à part, qui essaye seule d’interpréter le monde des adultes avec les moyens du bo