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Lundi poésie

Sarah-Louise Pelletier-Morin le dit avec des fleurs

Dans «le Marché aux fleurs coupées», son premier recueil, la Québecoise déclare sa flamme aux bouquets tout en choisissant de déconstruire le cliché de la «femme-fleur».
Sarah-Louise Pelletier-Morin. (Olivia Sofia/Ed. La Peuplade Poésie. Effets Libération)
publié le 19 février 2024 à 11h05

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En ce moment, ce sont les mimosas. Soit une madeleine de Proust sous la forme de petites boules jaunes pour la sudiste en exil parisien qui chaque début d’année, en enfouissant la tête dans les bouquets flous, s’imprègne du soleil d’hiver et de l’odeur de la mer. Telles sont les fleurs, qui sous leurs couleurs et leur parfum peuvent revêtir toutes les choses : émotions ou souvenirs encapsulés.

«Enfant, écrit Sarah-Louise Pelletier-Morin, je ne comprenais pas pourquoi on ne pouvait pas cueillir les fleurs, ni comment on pouvait les aimer en les observant de loin. J’aurais voulu me les approprier. Fleurs coupées.» C’est donc à ces morceaux de vie capturés jalousement par les humains pour leur plaisir que la Québécoise rend hommage dans son premier recueil, le Marché aux fleurs coupées.

Obsessions des romantiques, muses des peintres, appui du langage des amoureux, les fleurs sont aussi le réceptacle du deuil, a fortiori quand elles sont séparées de leurs racines. Il y a d’ailleurs quelque chose de cruel à acheter ses fleurs préférées pour ensuite les regarder mourir lentement. «Je n’ai jamais su quand jeter un bouquet, déroule encore Sarah-Louise Pelletier-Morin sur une page dans laquelle on se reconnaît particulièrement. Il me semble toujours trop tôt pour mettre des fleurs à la poubelle. J’attends donc le stade où les tiges moisies dégagent une odeur funeste qui embaume tout mon appartement, ce moment où le bouquet tend vers la forme la plus étrangère à sa beauté originelle. J’aime voir le végétal se décomposer sous mes yeux, perdre sa chlorophylle, abandonner un à un ses pétales.»

Née en 1993, Sarah-Louise Pelletier-Morin est doctorante en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Son recueil se lit comme un herbier, collection de tiges et de mots collés sur les pages – «Ici, on entre dans les livres comme chez le fleuriste». Et si la poésie qu’elle déploie a sa part de délicatesse, il faut chasser de nos têtes toutes les horreurs que ce terme convoque – porcelaines, dentelles, petite main, ruban rose poudré, silhouette gracile et docile. «On te fantasmera comme une boule lisse, on te reprochera tes contradictions. On confondra la femme et la fleur», prévient la poétesse, qui tente de prendre ses distances avec le poncif de la «femme-fleur» ou au moins «le détourner». Puisque tout est à déconstruire, pourquoi pas les fleurs ?

Le Marché aux fleurs coupées de Sarah-Louise Pelletier-Morin, éd. La Peuplade, 232 pp., 19€.

L’extrait

je pense à sa fureur, aux petites perles qu’elle contient

je pense à tout ce qui est solide sur son corps

à son tubercule que je voudrais promener

comme un bouquet dispendieux

souvent aussi je pense

à la possibilité de la mort

aux fleurs qu’il ne m’a jamais données

à son indifférence

au soin maladif qu’il offre à ses plantes