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Les premières et les dernières pages de ce livre sont très fortes. Le 17 novembre 2008, le député UMP (ancêtre de LR) de la Moselle Jean-Marie Demange roue de coups son ex-compagne devant témoins avant de l’abattre puis de retourner l’arme contre lui et de se suicider. Karine Albert, mère de deux adolescents, était restauratrice avant de devenir l’attaché parlementaire de Demange. Elle venait de lui annoncer qu’elle avait rencontré un autre homme. Un féminicide comme il s’en produit tragiquement au moins chaque jour en France et au-delà.
A Thionville, localité dont Demange a été le maire plus de douze ans durant, la stupéfaction se mêle à l’effroi. Fils lui-même d’un élu local, persuadé que rien ne peut se faire sans lui, l’homme ne s’était jamais remis de son échec aux dernières municipales. La ville ne supportait plus sa gestion de plus en plus autoritaire et solitaire, elle lui avait préféré de peu son opposant. Depuis, il sombrait dans la dépression. De là à commettre un acte aussi odieux, beaucoup peinent à y croire. Ce féminicide «est une mise à mort en place publique, digne d’un tribun, écrit la romancière Sophie Loubière dans Une minute de silence (éditions Dark Side). Un crime effroyable jeté à la face de celles et ceux qui lui ont tourné le dos, votant pour un jeune candidat socialiste, et qui assistent impuissants aux événements, aux coups que Jean-Marie Demange fait pleuvoir sur une femme en détresse.» Quelques heures plus tard, à l’Assemblée nationale, alors que la seconde partie du projet de loi de finances pour 2009 est au programme, la vice-présidente de séance prend la parole : «J’ai la tristesse de faire part du décès de notre collègue Jean-Marie Demange, député de la neuvième circonscription de Moselle, et j’invite l’Assemblée à observer une minute de silence.» Ainsi donc, les élus de la République vont rendre hommage à un homme qui vient d’exécuter une femme de deux balles dans le corps pour la seule raison qu’elle ne l’aimait plus. Aucun mot, ou plutôt aucun silence pour la victime. L’événement aurait dû révulser la France entière. Mais cette minute de silence est elle-même accompagnée d’un long silence.
Le précédent Jeudi polar
Jusqu’à ce livre de Sophie Loubière qui entreprend de décortiquer et décrypter l’affaire, reconstituant ce féminicide seconde après seconde, témoignage après témoignage. Si l’idée est formidable et l’entreprise louable, le résultat est étrange. Car l’autrice balance sans cesse entre l’envie de raconter froidement les faits et celle de les dénoncer avec vigueur tout en y mêlant les drames de sa vie personnelle, elle qui vient de cette même région de Moselle. Résultat, elle empêche le lecteur de penser et de s’approprier l’histoire, elle est trop psychologisante, accumulant les parallèles et les coups de gueule, ce qui a pour effet paradoxal d’éteindre l’incroyable force des faits.