Est-ce fréquent qu’une prestigieuse collection – une institution – accueille en son sein, par deux fois, les œuvres complètes d’un même auteur ? C’est le cas de Spinoza, qui fait son entrée dans la bibliothèque de la Pléiade déjà en 1954, dans la version de Roland Caillois, Madeleine Francès et Robert Misrahi, et qui s’y retrouve de nouveau aujourd’hui, dans une édition impeccable (incluant, outre tous les textes évidemment, la Correspondance et le plus rare Précis de grammaire de la langue hébraïque), publiée sous la direction de Bernard Pautrat. Si on ne peut voir là un doublon, c’est qu’il ne s’agit pas du même Spinoza, au sens où, en soixante-dix ans, il a totalement muté sous l’effet de l’«abondance inhabituelle» de lectures et d’exégèses qui ont été faites de son œuvre. Un seul exemple, le Traité politique : il a été longtemps «négligé, voire méprisé par les éditeurs, traducteurs, et même les doctes», alors qu’est évidente sa «fécondité subversive», insupportable à ceux qui n’aiment ni la vérité ni la liberté. D’une certaine manière, c’est un Spinoza plus «radical» qui est apparu, dont la pensée s’avère irréductible à des formules «percutantes et faciles à retenir» : «philosophe de la joie», «conatus», «persévérer dans son être», «passions tristes», etc. Une pensée construite comme l’ingénieur construit une machine complexe, qui exige qu’on ne «saute» aucun rouage, aucune transition, aucun raccord, si on veut comp
Philosophie
Spinoza, «ami du genre humain» mutant
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Spinoza vu par Richard Lindner. Tableau de la série «Great Ideas of Western Man» (1956), conservé au Smithsonian American Art Museum à Washington. (Leemage. AFP)
par Robert Maggiori
publié le 16 novembre 2022 à 19h23
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