Une nouvelle biographie de Tolstoï ? Les lecteurs occidentaux que passionne le démiurge du roman russe (et le démiurge russe du roman) avaient déjà l’embarras du choix. Si l’on met de côté les milliers de travaux universitaires et le mémorable cours de Nabokov sur Anna Karénine, ils disposaient des vies écrites par Romain Rolland, Stefan Zweig, Henri Troyat, Pietro Citati, et j’en passe ; mais rien ne vaut finalement un Russe pour parler d’un Russe, et quand ce Russe est aussi précis, clair et peu bavard qu’Andreï Zorin, professeur de littérature russe à Oxford, quand celui-ci travaille à partir des textes, ébauches, lettres et témoignages de première main, le résultat est une vie dont toutes les dimensions apparaissent sur moins de 300 pages.
Un bon exemple de son esprit synthétique (et malheureusement traduit sans légèreté) est l’analyse des naissances de Guerre et Paix et d’Anna Karénine : «Tous les écoliers russes ont les oreilles rebattues par la phrase prononcée devant sa femme par l’écrivain en mars 1877, selon laquelle il avait chéri dans Anna Karénine «l’idée de la famille» et, dans Guerre et Paix, «l’idée du peuple pendant la guerre de 1812». Cet énoncé doit être replacé dans le contexte de l’écriture de ses deux grands romans. Dans le premier, dont l’écriture est concomitante d’un brutal déchirement de la société russe à l’occasion de l’abolition du servage, Tolstoï s’efforçait de reconstituer l’ancienne unité nationale. Il rêvait, da