De l’automne 1974 à l’été 1976, l’historienne Annette Wieviorka a vécu en Chine, à Canton, avec son mari d’alors et leur fils en bas âge, lequel apprend le chinois avec une facilité qui fait défaut à sa mère : l’apprentissage sans peine est une vertu de la petite enfance. Le jeune couple est maoïste. Quelques années avant le voyage, «un jour de janvier, dans la salle d’attente d’une gare, Roland m’a regardée, les yeux brillants d’un désir si intense qu’il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir. Mon cœur a fondu de gratitude. Le soir même, nous avons fait l’amour et il m’a offert les Œuvres choisies de Mao Zedong en chinois.» C’est du Godard et c’est la vie, du moins en ces années-là. Ils adhèrent aux Amitiés franco-chinoises, une association maoïste, et, un an plus tard, ils se marient ; puis c’est la Chine.
Ils y vont pour vivre l’eldorado politique et social, enseigner le français, écrire des articles, participer à l’émancipation du peuple chinois. Elle est pleine de respect pour ses étudiants : «Ce sont les continuateurs de la révolution, ceux en qui réside le rêve d’égalité sociale, ceux de la rupture ; ce ne sont pas des héritiers, ils cassent la loi de la reproduction sociale.» Seulement, après l’appel, quand on leur pose des questions, ils répondent tous la même chose : «Je m’appelle Li Ping. J’ai vingt ans. Je suis paysan.» Li Ping est un héros mythique du maoïsme. Le couple contribue aussi à l’élaboration d’un dictionnaire bilingue