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Libération
Premier roman

«Une créature de douleur» d’Ella Baxter, début en défunts

Une jeune Australienne, thanatopractrice, perd sa mère et fait son entrée sur la scène BDSM en Tasmanie.
Ella Baxter. (Ella Baxter)
publié le 16 février 2024 à 12h48

Au dos, l’estampille des jeunes éditions Le Gospel prévient : «This book is not for everyone.» De fait, ce n’est pas forcément un texte à mettre entre toutes les mains, mais pour peu qu’on soit entre lecteurs adultes et consentants, et accessoirement amateurs de littérature étrangère singulière, il y a fort à parier qu’on trouvera là un objet nourrissant et distrayant, à l’équilibre entre comédie noire et déambulation poétique. Côté références, la quatrième de couverture invoque en vrac Joan Didion, Emily Dickinson et Six Feet Under. Pour les deux premiers noms on ne sait pas trop, mais gardons en effet la série d’Alan Ball dont les protagonistes étaient croque-morts. En chemin, on trouvera aussi à la narratrice une ressemblance avec les héroïnes de Fleabag ou I May Destroy You. Ainsi donc, au mitan : «Je ne suis pas sûre que j’aie ce qu’il faut pour être dominée et pourtant me voilà, à recevoir des ordres à quatre pattes sur une chaise en plastique dans un club libertin. Ma mère est morte. Je suis jeune. J’ai des excuses.»

Tête de cheval et peau en latex

Amelia Aurelia œuvre comme maquilleuse auprès des défunts dans l’entreprise de pompes funèbres familiale et c’est un travail qu’elle apprécie. La nuit, pour relâcher la pression, elle scrolle sur son téléphone et part faire «la bête à deux têtes» aux environs (en anglais, Une créature de douleur s’intitule New Animal). Après l’une de ces rencontres éphémères, elle découvre les appels en absence de son frère : leur mère a fait une chute dans les escaliers, elle est morte. Comment la thanatopractrice va-t-elle supporter la perte ? Ni mieux ni moins bien que n’importe qui montre le roman, lequel suit ensuite la jeune Australienne chez son père biologique en Tasmanie où les applications la conduisent à faire son entrée sur la scène BDSM locale (étonnamment très animée, c’est l’aspect comique), de l’initiation à la professionnalisation en passant par le choix pas évident de sa panoplie de domina («Je quitte le magasin avec une tête de cheval, la peau en latex, un justaucorps et une combinaison en résille»). A défaut d’assister à la cérémonie, Amelia franchit ses propres étapes, invente ses rites, et le roman, sous ses dehors hard, affirme du même coup sa douceur, finalement plus intéressé par le care et l’estime de soi que par l’art du bondage.

Une créature de douleur est le premier livre d’Ella Baxter. Il a été écrit en six ans «surtout pour tuer le temps et me distraire de mes émotions», dit l’autrice basée à Melbourne en interview. Egalement artiste, elle expose certaines de ses créations sur son site, notamment des linceuls faits main «qui peuvent être utilisés pour envelopper les êtres chers lors du rituel final de l’enterrement ou de la crémation». Ce roman, ce n’est pas surprenant, est en cours d’adaptation pour la télévision. On ne sait rien encore du deuxième, prévu pour l’an prochain en Australie et aux Etats-Unis, si ce n’est son titre qui donne déjà envie : Woo Woo.

Ella Baxter, Une créature de douleur, traduit de l’anglais (Australie) par Adrien Durand. Le Gospel, 238 pp., 20 €.