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Ex machina

Utilisation de l’IA dans l’écriture d’un roman : des auteurs japonais soutiennent Rie Kudan, lauréate du prix Akutagawa

La romancière, qui vient de décrocher le prestigieux prix littéraire, a expliqué que des parties de son dernier ouvrage ont été écrites par l’intelligence artificielle générative ChatGPT. Si elle a subi des critiques d’une partie du public, certains de ses pairs défendent cet usage.
La romancière Rie Kudan lors de la cérémonie de remise du prix Akutagawa à Tokyo, le 17 janvier 2024. (Yuki Kurose/The Yomiuri Shimbun.AFP)
par Karyn Nishimura, correspondante à Tokyo
publié le 19 janvier 2024 à 16h13

Lauréate du prestigieux prix littéraire japonais Akutagawa, la jeune romancière japonaise Rie Kudan, 33 ans, prend le temps, laisse de longs silences avant de répondre aux journalistes. Puis tout naturellement, quand l’un d’eux l’interroge mercredi 17 janvier sur l’intelligence artificielle générative, un des thèmes de son roman Tokyo-to dojo to (la Tour de la compassion de Tokyo, une intrigue futuriste), elle lâche tout naturellement : «Pour ce roman, j’ai beaucoup utilisé l’intelligence artificielle générative comme ChatGPT. Je dirais qu’environ 5 % de ce récit sont des phrases créées par l’IA que j’ai reprises telles quelles.» Sur le coup, personne ne semble vraiment réagir dans la salle de conférences de presse, le journaliste ne la relance pas, le modérateur passe à la question suivante. Les médias rapportent ce fait sans plus de questionnement.

«Il y a un malentendu»

Ce que l’autrice n’a pas précisé ici, mais qu’elle a explicité ultérieurement et que les lecteurs de son livre ont compris, c’est que seuls les passages du roman où l’intelligence artificielle générative entre en scène dans le récit, s’exprime en tant que telle, presque comme un personnage, sont des phrases effectivement générées par l’IA. A cette aune, que ChatGPT soit utilisé peut se justifier. C’est par exemple la position de Keiichiro Hirano, lui-même romancier, qui a vite volé au secours de sa cadette attaquée par une partie du public sur les réseaux sociaux. «Il y a un malentendu», exprime Hirano, qui fait partie des neuf jurés du Prix Akutagawa. Lui ne voit pas de problème dans l’usage qui est fait ici de l’IA puisqu’elle joue son propre rôle.

Contacté par Libération, un responsable dudit comité abonde : «le sujet de l’intelligence artificielle n’a pas fait débat parmi les membres du jury. Pour nous il n’y a rien à commenter, pas de problème.» L’argument est là encore que l’IA n’est employée dans le texte que pour s’exprimer elle-même.

De bonnes dispositions pour l’IA

Toutefois, la romancière brouille quand même un peu les pistes sur la façon dont elle appréhende cette technologie, en ajoutant lors de la conférence de presse : «A l’avenir aussi, je compte utiliser l’IA générative de texte, je voudrais l’employer astucieusement dans l’écriture des romans tout en démontrant ma propre créativité.»

La condition de n’intégrer des textes générés par l’IA que lorsqu’ils sont compris comme tels par le lecteur trouve en outre vite ses limites. Dans un récit où un robot adossé à une IA serait soit le narrateur soit le personnage principal, toutes ses paroles pourraient être réellement générées par l’IA en le justifiant par les mêmes arguments. Quel pourcentage du texte deviendrait alors acceptable ? Ce débat a-t-il même un sens ? Car le principal risque reste entier, quelle que soit la proportion d’IA : la violation des droits d’auteur, puisque cette intelligence artificielle ne crée pas ex nihilo, mais a ingurgité quantité de textes qu’elle utilise ensuite.

De façon générale, les Japonais et leurs autorités sont avenants à l’égard de l’intelligence artificielle. Rie Kudan indique ainsi que, dans sa vie quotidienne, il lui arrive de confier à une IA des soucis et angoisses indicibles à autrui, pour prendre conseil. Plusieurs ministres japonais ont jugé envisageable de demander à ChatGPT la rédaction de leurs réponses aux questions des parlementaires à la Diète. Cette bonne disposition ravit les Open AI (Chat GPT) ou Microsoft qui ont fait du Japon un laboratoire pour leurs outils avec plus de liberté qu’ailleurs.