Ce récit de voyage n’est pas un carnet de bord comme on peut en lire assez fréquemment, mais un vrai roman. Foisonnant de voix multiples, orienté, cela va de soi, d’un point A, New York, à un point B, Lublin, en Pologne orientale. Unité de temps, cinq jours, lieux successifs, l’Atlantique, Le Havre, Paris, l’Allemagne nazie qu’on traverse en train, puis la Pologne de cet été de 1934, aux paysages d’une tristesse désolante. Le pire, l’innommable, est certes à venir, mais ni l’auteur, ni le narrateur, ni les voyageurs ne le savent : le roman fut publié avant, en 1938.
Nous voici donc embarqués en première classe tant qu’à faire, sur le paquebot l’Olympic. Le narrateur «rentre à la maison». Il retourne «chez lui», en Pologne donc, d’où il est parti vingt ans plus tôt, en 1914, à l’âge de 20 ans, à l’exhortation clairvoyante de ses parents, entendant lui épargner misère, antisémitisme (russe ou polonais), pogromes. A bord, sur le pont ou au bar, comme sur une scène de théâtre, les voyageurs, surtout les célibataires, sont prompts à raconter leur vie. Le ton est volontiers badin, étonné, un rien mélancolique. Une dépêche vient à peine troubler les conversations, le roulis et la danse gracieuse des dauphins, où il est question de la stratégie de Hitler. Seul Yash (c’est le nom du héros) s’en inquiète. «Je finis par comprendre que Hitler signifiait pour moi autre chose que pour eux.» Eux : les autres passagers, non juifs. Dès lors, les pensées de Yash tou