Parfois, le hasard et le chaos font bien les choses. En février 2019, Nicolas Jolivot, un plasticien qui tient des carnets de voyage (soit un carnettiste) en eut assez de parcourir le monde, en particulier la Chine et le Japon. Se déplacer loin de chez lui avait été son activité pendant trente ans. En abordant ce qu’il nomme «l’automne de (sa) vie», il souhaitait passer deux ans à se mouvoir uniquement dans son jardin de 300m². Le but : rester en place, et ne plus ignorer un centimètre, une plante, un oiseau de ce lopin de terre qui appartient à sa famille depuis 1919. A ce confinement volontaire s’est ajouté le confinement obligatoire de mars 2020. Le résultat de ses observations minutieuses est un superbe livre, que l’on ne peut qu’aimer à tous les âges de la vie. Il est de grand format, écrit et illustré par Nicolas Jolivot. Le texte, de taille variable puisqu’il s’agit parfois d’une simple légende accolée au dessin d’une fleur, est plein de charme, d’intelligence et personnel. Les noms latins de la faune et de la flore sont indiqués. La coccinelle à sept points – «la bête à bon dieu» – a pour nom savant «coccinella septempunctata». A 7 ou à 77 ans, on se réjouit d’apprendre ces choses-là.
Des geais, des vers de terre, des iris et un grand-père
S’inspirant de la chanson de Charles Trenet, Nicolas Jolivot prévient le lecteur : son jardin «n’a rien d’extraordinaire» ; il ressemble à celui de «monsieur Tout-le-monde». Mais la façon dont il le scrute et le décrit est formidable, et n’est pas donnée à tout le monde. L’air de rien, l’auteur et illustrateur nous instruit. Son jardin a 100 ans. Il se situe entre une ville de taille moyenne en bord de Loire (elle n’est pas nommée, mais il semble qu’il s’agisse de Saumur) et «un village perché au-dessus de la rivière Thouet». Lorsqu’une rue assez large fut réalisée «pour laisser passer deux charrettes de front», plusieurs maisons furent édifiées sur «des parcelles aménagées en clos typiques de la région». En 1821, le jardin n’était pas encore clos. Il fallut attendre 1855 pour que des murs soient construits autour de chaque parcelle avec une pierre calcaire du coin, le tuffeau. En 1866, une crue très importante de la Loire, l’une des plus forte des derniers siècles, laissa des traces sur les murs. Certains villageois tracèrent des repères. Voyages dans mon jardin est un livre d’histoire, de géologie, de botanique et de géographie. On apprend à nommer des objets tel le «cale-volet», qui cale les volets contre le jambage des fenêtres. Saviez-vous que la «daphnomancie» était l’art de lire dans les pétarades de rameaux qui brûlent, par exemple lorsque se prépare un barbecue ?
La chronique précédente
Il n’y a pas que des geais, des vers de terre et des iris dans ce livre, mais aussi des êtres chers à l’auteur, à commencer par son grand-père. Jacques était le fils de «mademoiselle Suzanne» et d’un soldat américain arrivé dans la région à la fin de la Première Guerre mondiale, retourné aux Etats-Unis peu de temps après. La mère de Jacques était une fille-mère. Nicolas Jolivot se souvient de son grand-père bricolant dans son atelier et jardinant. Il avait fabriqué une girouette en s’inspirant d’un magazine né avant-guerre, Système D. Chaque soir, il rendait compte dans un cahier de sa journée de labeur. Son petit-fils observait son manège. La première vocation de Nicolas Jolivot était de devenir espion.